Pour ce 289ème Track-by-track, un disque mémorable comptant parmi les sommets de la chanson française. Il est sorti en 1971 et est le sommet de Léo Ferré (même si Il N'y A Plus Rien de 1973 assure aussi) : c'est La Solitude, que Ferré, cet éternel anarchiste (et un des plus grands poètes musicaux de notre pays), a enregistré essentiellement avec un groupe de rock progressif français de l'époque, aujourd'hui méconnu, j'ai nommé Zoo. Néanmoins, ce disque, le deuxième que Ferré a fait avec Zoo après le sublime double album de 1970 Amour Anarchie, reste du pur Ferré, et pas du tout un disque rock. 9 chansons en tout, pour un peu moins de 40 minutes, pour ce disque rempli de grandes chansons, de textes sensationnels, dont certains sont très, très engagés, rappelons que Léo Ferré était un anarchiste convaincu qui devait même être déçu du parti communiste. Ce disque, mythique, le voici :
La Solitude : Je suis d'un autre pays que le vôtre, d'un autre quartier, d'une autre solitude/Je m'invente aujourd'hui des chemins de traverse/Je ne suis plus de chez vous/J'attends des mutants/Biologiquement je m'arrange avec l'idée que je me fais de la biologie: je pisse, j'éjacule, je pleure/Il est de toute première instance que nous façonnions nos idées comme s'il s'agissait d'objets manufacturés/Je suis prêt à vous procurer les moules/Mais...La Solitude... Telle est l'intro de La Solitude, chanson-titre de l'album, une chanson qui sera reprise notamment par Thiéfaine (en live). Chaque couplet est déclamé par Léo Ferré, sans musique, un spoken-word assez marquant et qui, pour une ouverture d'album, est assez osé, pour tout dire. On sait que Ferré était un engagé au franc-parler assez légendaire, et cette chanson qui, par la suite, au fil des secondes, devient de plus en plus lyrique (Ferré, d'abord, prononce, dans le refrain, le titre de la chanson, puis il finit par le hurler, la musique devient plus soutenue, plus présente), est un des meilleurs exemples du Ferré poétique et incendiaire. Magistral. 5,20 minutes de bonheur.
Les Albatros : 3,05 minutes pour Les Albatros, la chanson la plus courte de l'album, et une des plus belles aussi. Musicalement, c'est lyrique, sublime. Toujours le groupe Zoo pour accompagner le vieux lion, mais Zoo est en quelque sorte en retrait, ne vous attendez pas à des soli de guitare et de batterie, tout ça est très sage, reposant, mainstream. Et puis, on écoute Ferré pour ses textes, qui sont, je dois le dire, bluffants. Les Albatros est une bien belle petite chanson, lyrique, poétique, plus douce et accessible, plus gentille dans un sens, que La Solitude, Le Conditionnel De Variétés ou que la chanson suivante, qui, niveau paroles, est parfois violente. Vraiment une sensationnelle petite chanson, petite par la taille, mais pas par sa qualité, au contraire.
Ton Style : 3,30 minutes encore une fois servies par un texte parfait et très cynique. Ton Style, une des meilleures de l'album et une de mes préférées, est une chanson méchante et parfois même cruelle (le refrain, agressif, violent même, et d'autant plus violent que Ferré le chante d'une voix très calme et sobre), parle d'une femme. Ton style, c'est ton cul, c'est ton cul, c'est ton cul/Ton style, c'est ma loi quand tu t'y plies, salope !/C'est mon sang à ta plaie, c'est mon feu à tes clopes/C'st l'amour à genoux et qui n'en finit plus/Ton style, c'est ton cul, c'est ton cul, c'est ton cul. Pas de Zoo ici, c'est une musique orchestrale dirigée par Léo, et le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est sublime. Une grande chanson.
Faites L'Amour : 4,10 minutes pour cette chanson qui marque le retour de Zoo (il n'y à que deux morceaux sur lesquels ils ne jouent pas). Faites L'Amour est probablement la chanson qui me branche le moins sur La Solitude. Ce n'est pas mauvais du tout, mais je la trouve moins marquante, moins grandiose que les autres. Là, le vieux lion engagé parle forcément de l'amour, sous toutes ses formes, mais essentiellement l'amour rapide, tarifé ou non. Pour une fois, le texte, moins fourni que de coutume (je vous rassure, au fait : le CD offre les paroles, dans un très bel écrin en forme de livre), déçoit quelque peu. Musicalement, c'est bien foutu, mais vraiment, sans crier au ratage, il faut bien avouer que Faites L'Amour est la moins réussie des 9 de l'album. Voilà...
A Mon Enterrement : 3,15 minutes pour achever la première face. A Mon Enterrement se passe de commentaires : Léo Ferré, ici, imagine les gens qui viendront à son enterrement, les fastes qu'il y aura, les gens qui viendront (il ne cite personne, ceci dit, mais imagine des tas de filles de différentes nationalités). Une chanson pas spécialement légère, pas comme Le Tango Funèbre de Brel qui s'imaginait la même chose, maisen mode caustique et rigolo. A Mon Enterrement, qui n'est pas non plus une chanson plombante, est plus lyrique et poétique, totalement dans le style Ferré. C'est une bien belle chanson, un peu courte, comme Les Albatros, mais vraiment belle, en même temps.
Les Pop : La face B s'ouvre sur une des chansons les plus longues (5 minutes et autant de secondes), Les Pop. On imagine aisément ce que Ferré pense de ce courant musical et cette mode, aors en pleine vogue, la mode pop. Accompagné de Zoo, il livre ici une chanson mémorable, une des plus belles de La Solitude et une de ses plus belles tout court, avec un texte qui, une fois encore, laisse admiratif pour le moins : La Pop, c'est des bandits qui holdeupisent la musique/C'est des volts envoûtants qui virevoltent et triquent/Comme dans un plumard avec dedans, personne/Quand on jouit des volts on fait chier personne... A la fois amour et haine, cette relation de Ferré avec ce courant musical (après tout, il s'entoure de Zoo, groupe de rock progressif, disait aimer les Beatles, et une de ses chansons préférées était Summer 68 de Pink Floyd). Les Pop est une chanson tout simplement...grandiose, quintessentielle, les mots manquent, en fait !
Tu Ne Dis Jamais Rien : Pas de Zoo ici, sur Tu Ne Dis Jamais Rien, chanson la plus longue (5,50 minutes) de l'album. Une chanson au texte sensationnel, bien que Ferré s'embarque assez souvent dans des accès de lyrisme à la limite du psychédélisme. Tu Ne Dis Jamais Rien, mis à part ça et sa longueur assez marquante, est une chanson franchement belle, pas ma préférée de l'album (je la trouve sans doute un peu trop longue), mais ce n'est pas pour ça que la chanson n'est pas une des plus belles. En fait, c'est probablement, même, une des plus belles de l'album, mais elle me branche par intermittence, si on peut dire ! Excellent.
Dans Les "Night" : Dans cette chanson remarquable et très connue (je la connaissais déjà avant de découvrir l'album), Léo Ferré parle évidemment des boîtes de nuit, des night-clubs comme on dit en anglais pour faire brancher, ou, pour faire encore plus branché, les "night". Toujours accompagné de Zoo, Ferré, en 4,10 minutes, livre ici des paroles tout simplement parfaites, agressives ou poétiques. On sent que le vieux lion Léo apprécie sans apprécier les night-clubs, repaire de jeunes cons amateurs de pop music (et Les Pop montrait déjà bien ce qu'il pensait de ça) : Dans les "Night", y'à la vie qui s'projette avec un scotch au cul/Y'à des mômes que l'on jette avec la rage au con/Y'à la mer qui déborde entre deux conneries pop/Y'à la mort qui jouit sur une Kawasaki/Dans les "Night"... Remarquablement bien écrit, et ce n'est que le premier couplet ! Sinon, Je t'aime à la folie, je t'aime et je te pollenise est bien trouvé (et un peu osé) aussi ! Une superbe chanson.
Le Conditionnel De Variétés : 4,55 minutes pour cette conclusion assez marquante, Le Conditionnel De Variétés. Le titre est bien trouvé : Ferré, sur fond de musique assez marquante (le groupe Zoo), déclame un texte faussement distant, dans lequel il parle de plusieurs choses qui fâchent, en faisant style qu'il n'en parle pas, tout en en parlant, très fort. Répétition, tout du long du morceau, de l'accroche Comme si je vous disais (il parle donc au conditionnel, et se déclare chanteur de variétés), pour énoncer quelques vérités telles que les licenciements à répétition, l'incompétence de quelque ministre qu'il ne cite pas, mais qui pourrait bien être français, ou, encore plus fort (car, tout en faisant style qu'il ne cite rien, il cite tout), un journal, La Cause Du Peuple, qui fut interdit, et il s'en fâche et s'en attriste ici. Le Conditionnel De Variétés est une chanson qui clame la colère de Ferré avec ironie et fausse distance. Une des meilleures de l'album, clairement !
Alors, La Solitude ? Grand disque, engagé, anarchiste, mais très poétique, dans lequel Léo Ferré, génie hélas très oublié de nos jours (il est mort en 1993, pensez-vous qu'une émission de TV lui a rendu hommage en 2003 ? Rien ! Et j'ai bien peur que rien ne sera fait en 2013 non plus...), livre quelques unes de ses meilleures chansons. L'album, qui sera refait en italien par Ferré (sous le titre La Solitudine), est une oeuvre forte, parfois difficile (la première chanson commence par un spoken-word engagé, une déclamation, ce qui, pour une ouverture d'album, comme je l'ai dit plus haut, est assez osé), mais fondamentale, grandiose. Bien que Amour Anarchie ou Il N'Y A Plus Rien soient également fantastiques, La Solitude est bel et bien le sommet de Ferré en albums. Immense.