Pour ce nouveau et 281ème Track-by-track, un disque que, comme le Love On The Beat de Gainsbourg que j'ai abordé dernièrement, j'apprécie de mieux en mieux à chaque écoute. Sorti en 1974, c'est le cinquième album de Lou Reed et son quatrième album studio, et il s'appelle Sally Can't Dance. Pochette ridicule et hilarante montrant un Lou blond péroxydé (son look en 1974), dessiné à la manière d'une version cartoon du lion de la MGM (au dos, un travelo qui se réfléchit dans les lunettes de Lou, détail que l'on ne voit d'ailleurs pas sur la pochette recto), et contenu très court (pour 8 titres, l'album dure 32 minutes, c'est le plus court de Lou). Un disque qui sera le seul de Lou Reed à se classer dans le Top 10, ce que Lou aura toujours beaucoup de mal à piger (il qualifiera l'album de sale et pauvre, et dira meme le plus mauvais je suis, le plus je cartonne dans les charts ; merveilleux... ; si ça se trouve, si je ne joue pas du tout sur mon prochain album, il sera N°1 des ventes). L'album est hautement teigneux, rock, limite hard-rock en fait. Malgré le côté très vicieux des paroles et la musique le plus souvent heavy, il est aussi très commercial. Considéré comme un des pires albums de Lou (honnêtement, il y à pire !), Sally Can't Dance est, en effet, décevant, mais il est, aussi, jouissif au second degré. Cheap and nasty, comme le qualifiait Lou. Un disque médiocre, mais que j'adore, en quelque sorte, et que voici :
Ride Sally Ride : A écouter l'introduction de Ride Sally Ride (non, l'album n'est pas conceptuel ; je dis ça, car deux chansons possèdent le prénom Sally dans leurs titres, mais c'est une coïncidence, probablement), on est immédiatement emballé : un piano magnifique ! La chanson, sans être le sommet de l'album, est une belle petite réussite bénéficiant de choeurs franchement excellents (de Joanne Vent et Michael Wendroff), de cuivres très réussis, une ambiance assez soul à la Bowie période Young Americans (album de 1975, que j'ai abordé ici dernièrement, et qui est très critiqué, connement, pour son côté opportuniste ; ben, un an plus tôt, Lou a fait de même !). Le chant froid de Lou, la musique, les paroles, tout concourt à faire de cette chanson un très bon moment à passer, même si Lou Reed a fait mieux par le passé (et fera mieux sur l'album).
Animal Language : Bon, là, par contre, OK, c'est mauvais. Heureusement que c'est la chanson la plus courte (3 minutes), car Animal Language, avec ses effets sonores faits à la bouche (il faut entendre Lou Reed imiter un miaulement ou un aboiement ! Je vous jure qu'il en fait quelques uns ici !), est la chanson ratée de l'album. Franchement pourrie. L'ambiance funky-rock est amusante, on sent que Lou s'est amusé à chanter ça, mais le résultat est confondant de médiocrité. Encore une fois, de bons cuivres, de bons choeurs, mais la sauce, franchement, ne prend pas sur Animal Language, le morceau à fuir sur Sally Can't Dance. Oui, je suis tout à fait disposé à réhabiliter l'album, mais pas cette chanson !
Baby Face : Morceau le plus long (à égalité avec Billy) : 5 minutes. Baby Face est un pur régal soul/rock, un peu glam, mais pas trop, interprété à la perfection (en mode 'doux') par Lou Reed. Mélodie imparable et sublime, paroles remarquables, chant sublime, Baby Face mérite nettement mieux que tout ce que l'on dit au sujet de l'album. En fait, cette chanson est, avec Billy, Kill Your Sons et N.Y. Stars, une des toutes meilleures de cet album contesté, mineur mais très agréable.
N.Y. Stars : Une des meilleures chansons de l'album. N.Y. Stars offre, en 4 minutes, un régal de hard-rock. Dans cette chanson, Lou Reed parle de tous ces chanteurs qui, en cherchant sans doute à l'impressionner, imitent son style. Il en parle comme de Four-rate imitators ('imitateurs 4 étoiles'), d'une manière ô combien ironique et cynique. N.Y. Stars, avec sa guitare heavy et son chant froid et calculateur, distant et cynique, achève à la perfection la première face de Sally Can't Dance, laquelle est moins marquante que la B mais se finit quand même mieux qu'elle ne commence. En fait, cette chanson est une de mes préférées de l'album, voilà, c'est dit !
Kill Your Sons : La face B s'ouvre sur un des meilleurs morceaux de l'album. Kill Your Sons est un petit chef d'oeuvre, tout simplement. Une chanson qui, comme le Lady Godiva's Operation du Velvet Underground (album White Light/White Heat de 1968), parle des séances d'électrochocs qu'on a fait subir à Lou Reed, adolescent, pour tenter de le 'guérir' de ses pulsions homosexuelles. Entre le chant cynique et froid de Lou et cette guitare remarquable livrant par ailleurs un beau solo (et signée Danny Weis), Kill Your Sons ('tuer vos fils') est une chanson implacable, hélas trop courte (3,35 minutes), et assurément la meilleure de l'album avec Billy et N.Y. Stars. Même les détracteurs les plus incendiaires, les plus méchants au sujet de Sally Can't Dance reconnaissent qu'il s'agit d'une très très grande chanson, probablement même une des meilleures du répertoire louridien.
Ennui : Titre français que les anti-Sally Can't Dance estiment être le terme le plus pratique pour décrire l'album - humour ! Ennui n'est pas le sommet de l'album, mais c'est une bien belle chanson, mineure mais jolie quand même, bien interprétée par Lou Reed. A noter que sur ce titre, comme sur le précédent, la batterie est tenue par Richie Dharma, au lieu de Whitey Glan. Chanson aussi courte que la précédente, 3,35 minutes aussi (l'album est décidément, et définitivement, trop court, mais, quelque part, 32 minutes suffisent amplement, aussi). Ennui est donc une chanson pas ennuyeuse pour un sou, sans pour autant être le sommet mélodique de Sally Can't Dance.
Sally Can't Dance : Chanson qui sortira en single (dans une version raccourcie présente en bonus-track, avec 40 secondes en moins). D'une durée de 4,05 minutes dans sa version album, Sally Can't Dance est une chanson funk-rock assez cynique sur une jeune femme que Lou décrit ainsi (en anglais dans le texte, évidemment) : Elle était la première fille de son voisinage à avoir des fleurs dessinées sur ses jeans/Elle était la première fille du voisinage à se faire violer près de Tompkin Square...ouais, pas mal du tout. Le passage She was the first girl in the neighborhood to get raped near Tompkin Square...real good (dernière phrase que je viens de citer en français pour les ceusses qui ne pigent rien à l'anglais) fut excisé de la version radio, on se demande bien pourquoi, hein ? Une chanson cynique, énergique, entraînante et glaciale en même temps. A noter, Sally Can't Dance est aussi le surnom d'un des personnages du film Les Ailes De L'Enfer, le personnage du travelo (allusion au verso de pochette) !
Billy : Et enfin, Billy. Ah, Billy ! Billy was a friend of mine, chante Lou dans le début de la chanson. En effet, Billy, chanson la plus longue (à égalité avec Baby Face, même durée) car faisant 5 minutes, est une chanson qui parle d'une relation d'enfance, d'adolescence, de Lou Reed, un ami de lycée qui, selon Lou, avait de meilleures, et de plus 'normales' ambitions, dans la vie, que celles de Lou. Une chanson franchement mémorable sur laquelle Doug Yule, dernier bassiste du Velvet ayant considérablement pris le pouvoir au sein du groupe (Loaded, et Squeeze, ce dernier album, sorti en 1973, est plus un disque solo de Yule qu'un disque du Velvet, et un des albums les plus honnis - et méconnus - de tous les temps), joue de la basse. Pas méchant, le Lou, de faire venir Yule, lui qui a pris le pouvoir au sein de son groupe, ayant quasiment entraîné le départ de Lou en 1970 ! Billy est une des plus belles chansons de l'album, une merveille douce-amère, reposante et très subtile. Magnifique.
A l'arrivée, je peux dire une chose : je dois probablement être malade, car, avec le temps, je me suis mis à adorer Sally Can't Dance ! 32 minutes assez bizarres, mais, en même temps, assez jubilatoires. C'est vrai que le Lou ne s'est pas foulé, ici : entre la courte durée de l'album et les mélodies assez heavy (N.Y. Stars, Kill Your Sons) ou easy-listening (Billy, Ennui, Ride Sally Ride), ou même white soul/funk (Animal Language, Sally Can't Dance), l'album est très facile d'accès, trop au goût des fans qui ne pardonneront pas à Lou d'avoir fait un disque aussi commercial et facile, sans âme. Lou lui-même, après ça, passera en mode fuck-off avec Metal Machine Music ! Gros succès commercial mais aujourd'hui considéré comme un des pires albums de la carrière de l'ex-Velvet (c'est un peu vite oublier Mistrial, Growing Up In Public ou Legendary Hearts), Sally Can't Dance est en effet un disque passable, un peu moyen, médiocre même musicalement parlant, sans recherche, mais, allez savoir pourquoi, je l'adore, aussi : il y à, dans sa facilité, un côté jouissif. Les mélodies sont évidentes, c'est décevant après Berlin, mais quand on a besoin de musique pour se détendre, passer un bon moment sans prise de tête, c'est idéal : les mélodies de N.Y Stars, Kill Your Sons ou Baby Face sont franchement pas mal du tout ! Bref, un disque sans envergure, mais à écouter sans honte. Décomplexé, quoi !