Pour ce 280ème Track-by-track, un disque assez mal-aimé. Sorti en 1982 sous une pochette assez moche (une petite note de musique rose sur fond bleu), Beat est le neuvième album studio de King Crimson. C'est aussi le deuxième album de la trilogie pop progressive du groupe, les trois albums faits au cours des années 80 (1981, 1982 et 1984), lors de la preimière reformation du groupe. Premier album du groupe non produit par le groupe (mais par Rhett Davies), Beat est aussi le premier album fait avec strictement le même line-up que le précédent album (Discipline), autrement dit, Robert Fripp (guitare, claviers), Adrian Belew (chant, guitare), Tony Levin (basse, Chapman stick) et Bill Bruford (batterie). Ca sera aussi le cas du disque suivant, Three Of A Perfect Pair, qui achève la trilogie. Très court (35 minutes), Beat est mal-aimé, mais il faut dire aussi que cet album quasiment conceptuel (pas mal de chansons parlent de la Beat Generation, ces auteurs, Kerouac, Ginsberg, Burroughs, Cassady) n'est clairement pas le meilleur du groupe. Il est quand même pas mal, et ce disque, le voici, d'ailleurs :
Neal And Jack And Me : Un des meilleurs morceaux de l'album. Neal And Jack And Me se base sur le roman Sur La Route de Jack Kerouac (si vous n'avez pas encore lu ce livre quasiment autobiographique, ruez-vous dessus, il est immense), qui raconte les pérégrinations de Kerouac (le Jack du titre, qui s'est renommé, dans le roman, Sal Paradise) et de Neal Cassady (le Neal du titre, renommé Dean Moriarty dans le roman ; quant au 'me', c'est une voiture !) sur les routes américaines. Avec ses deux paroles en français (En route, les souterrains/Des visions du Cody, Satori à Paris), son chant remarquable et trépidant de Belew, sa rythmique fantastique, les guitares acérées de Fripp et de Belew, Neal And Jack And Me, dont l'intro de guitare fait penser à la conclusion de Discipline (dernier morceau de l'album précédent, Discipline), est une réussite totale. Neal and Jack and me, absent lovers, absent lovers...
Heartbeat : Sorti en single (unique single de l'album, ce sera un gros succès, le seul single à succès du groupe et un classique en concerts), Heartbeat puise son nom d'un roman de la femme de Neal Cassady (un auteur de la Beat Generation). C'est le morceau pop commercial de l'album. Pour le coup, c'est vraiment commercial, pas la peine d'en douter ! Le chant de Belew est pas mal du tout, il me fait penser, parfois, à celui de Lou Gramm (de Foreigner), surtout dans les refrains. Heartbeat n'est certainement pas une grande chanson, elle est trop pop, commerciale, évidente, facile, indigne de King Crimson pour tout dire. Sans critiquer Genesis (car je suis fan du groupe), c'est typiquement le genre de chanson que Genesis aurait pu faire, même si, en même temps, je n'arrive pas trop à imaginer Heartbeat chantée par Phil Collins. Musicalement, c'est pas mal, mais quand même trop pop pour Crimso. Niveau des paroles, c'est très niais. A noter, la face B était une vrsion raccourcie de Requiem.
Sartori In Tangier : Instrumental. Un petit peu moins de 4 minutes pour emporter l'auditeur dans un univers fantastique. Le titre est une allusion au roman Satori A Paris de Jack Kerouac (remarquez la faute d'orthographe dans le titre, il est indiqué "Sartori" au lieu de "Satori"). Le satori, c'est un terme bouddhiste zen qui signifie 'compréhension', et décrit aussi une expérience prolongée, un apprentissage amenant ensuite à une compréhension durable (comme, par exemple, un enfant apprenant à marcher, et, une fois qu'il sait marcher, se rendant compte qu'il n'oubliera jamais comment marcher, une fois qu'il le sait, c'est acquis). Sur ce morceau, tout est fantastique : les interventions guitaristiques frappées de Belew, celles, plus strictes, de Fripp, la basse de Levin (son Chapman Stick, surtout), la batterie de Bruford, l'ambiance à la fois arabe (l'intro) et totalement hypnotique et industrielle... Sartori In Tangier est mon morceau préféré avec Neal And Jack And Me, et une des pièces maîtresses de Beat.
Waiting Man : Très belle chanson que ce Waiting Man, qui achevait la face A de Beat, laquelle face A est, autant le dire tout de suite avant de passer à la face B, meilleure que l'autre. Atmosphérique, ce morceau est interprété par un Adrian Belew en immense forme, sa voix est sublimissime, je ne sais pas quoi dire d'autre pour la décrire. Musicalement, le morceau n'est pas le plus grandiose de l'album (ce n'est pas non plus du niveau de Two Hands !), mais le passage 'solo' central est tout simplement immense, grandiose, un des meilleurs de l'album. Au final, ce morceau est sans doute un peu long (4,30 minutes), mais il se finit franchement bien, et est interprété à la perfection. Les paroles, aussi, valent totalement le coup, faisant de ce Waiting Man une bien belle réussite dans son genre.
Neurotica : La face B s'ouvrait avec les 4,50 minutes de Neurotica, morceau très barge dont le titre s'inspire d'une revue publiée aux USA à l'époque de la Beat Generation (années 50 ou 60, je ne sais pas). Niveau des paroles, ça fait penser à du Burroughs (Le Festin Nu, La Machine Molle, Nova-Express, Le Ticket Qui Explosa...), autrement dit, du destructuré complet, totalement cintré, psychotique, futuriste et oppressant, cauchemardesque, on a l'impression d'être dans un esprit torturé, ou dans une grande ville inhumaine à la Brazil, quelque chose dans ce genre. Musicalement, Neurotica est un morceau fantastique, avec des parties de guitare assez marquantes (de Fripp, mais surtout de Belew). Bref, une bien belle réussite que ce morceau.
Two Hands : Mon Dieu, que c'est mièvre... Et ce n'est pas parce que c'est Margaret Belew, la femme d'Adrian, qui a signé les paroles que je dis ça, en plus... Non, vraiment, Two Hands est, franchement, niaise. Il y à de bons trucs ici : l'intro est efficace, la partie de guitare de Belew aussi, et Belew chante bien. Mais les paroles sont d'une niaiserie absolue, la durée est insignifiante (3,25 minutes), et le côté résolument pop pour ménagères de moins de 50 ans, comme le plus rythmé Heartbeat (que je préfère) rend vraiment le morceau écoeurant à la longue. Dans l'ensemble, ce Two Hands est le moins bon, et de loin, des morceaux de Beat, et même des morceaux de la trilogie pop progressive de Discipline/Beat/Three Of A Perfect Pair. Clairement, carrément.
The Howler : C'est Fripp qui a conseillé à Belew de lire le long poème Howl d'Allen Ginsberg, afin d'en puiser une source d'inspiration. Le titre du morceau est donc basé sur ce poème. The Howler, morceau assez sombre et froid, avec ses sonorités industrielles, mécaniques et glaciales, n'est pas le meilleur morceau de l'album, mais tout du long de ses 4,15 minutes, il est quand même franchement bien foutu, surtout niveau musical. Ce n'est pas que les paroles soient ratées (non, elles sont franchement pas mal), mais je trouve le morceau plus fort musicalement que textuellement. The Howler vaut le coup d'oreille, en gros !
Requiem : Morceau le plus long de l'album avec 34,40 minutes. Non, je plaisante, Requiem ne dure que 6,50 minutes !!! Ce qui, comparé aux sept autres titres, est franchement pas mal et imposant. Tout comme Sartori In Tangier, Requiem est un instrumental. Et c'est le morceau le plus crimsonien de l'album. Là, on retrouve vraiment la patte Crimso, le son écorché vif de la guitare de Robert Fripp, la batterie puissante de Bruford, la basse de Levin (fantastique), les interventions frappadingues de Belew, les soundscapes (ambiances sonores au clavier et guitares) de Fripp... Autant le dire, Requiem est un excellent morceau, jamais chiant malgré sa longueur (c'est sûr que si les improvisations instrumentales de King Crimson à la The Sheltering Sky ou, plus progressif, Providence, vous ont toujours ennuyées, vous trouverez le temps long). En un mot, excellent.
Beat est donc un disque un peu inégal, mais quand même très attachant. Construit comme une sorte de concept-album sur la Beat Generation, il n'est pas raté de ce point de vue-là (Neal And Jack And Me possède énormément d'allusions à Sur La Route de Kerouac, Sartori In Tangier possède un titre éloquent faisant aussi allusion à Kerouac via la notion de Satori, Neurotica est du pur Burroughs dans sa forme, The Howler possède un titre proche du long poème Howl de Ginsberg...). C'est vrai qu'il est trop commercial et pop (Heartbeat), et aussi qu'après une telle réussite (Discipline), il semble franchement fainéant. Mais, mais, mais... on a de très bons moments sur cet album, quand même. Certes, c'est un des moins bons albums de King Crimson (mais il est meilleur que The ConstruKction Of Light de 2000, et un peu meilleur que le boursouflé THRAK de 1995), mais, comme je viens de le prouver entre parenthèses, il n'est pas non plus calamiteux, ce n'est pas le pire de Crimso non plus. Beat est un disque cohérent avec son époque, et il est sûr que, tôt ou tard, si vous êtes fan du groupe, vous finirez pas l'écouter. Pas à découvrir en priorité, mais pour compléter une collection, si on peut dire !