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Pour ce 265ème Track-by-track, un très très grand disque sorti en 1989, probablement le deuxième meilleur album de The Cure après Pornography (1982) : Disintegration. Long (72 minutes, 12 titres dans son format CD, et seulement 10 titres en vinyle car ni Homesick ni Last Dance ne s'y trouvent), cet album rempli de claviers est une pure réussite à la fois reposante et angoissante, un disque sur a déconstruction, la décomposition mentale d'un homme. Le groupe est alors constitué du chanteur/guitariste/claviériste/auteur Robert Smith, du bassiste et claviériste Simon Gallup, du batteur Boris Williams, du claviériste Roger O'Donnell, du guitariste Porl Thompson, et aussi, de Laurence Tholhurst, ancien batteur du groupe (première époque), apparemment en période instable dans le groupe, sur le point d'être viré, car crédité aux autres instruments (autrement dit, on ne sait pas vraiment s'il joue, et de quoi il joue, probablement un peu de claviers). Ce disque, le voici :

Plainsong : On entend d'abord un léger bruit de clochettes, comme un petit carillon d'entrée de magasin, vous savez, ces petits tuyaux métalliques accrochés aux portes, signalant l'arrivée de clients... Ce n'est peut-être pas ça que l'on entend, mais le but est apparemment de faire entrer l'auditeur dans l'univers de Disintegration, et si c'est le cas, Plainsong fonctionne parfaitement dans ce sens. Une chanson pas trop longue (5,15 minutes), offrant un climat vaporeux, rêveur, ethéré, relaxant, avec un Robert Smith comme sous éther, tou du long (voix contemplative, zen, un peu larguée). Paroles sublimes (Sometimes you make me feel like I'm living at the edge of the world, like I'm living at the edge of the world, "It's just the way I smile", you said), mélodie enchanteresse, Plainsong est une excellente introduction.

Pictures Of You : Durée, déjà, plus étendue (7,30 minutes) pour ce Pictures Of You mémorable. Là, c'est plus enlevé, tout en restant pop et zen. Le chant de Smith est plus énergique, avec une touche très guillerette, gaie (si la gaieté peut se faire entendre de la bouche de ce chanteur, on le sait, très sombre !), énergique sans être violent. La mélodie est du pure Cure de l'époque The Head On The Door/The Top/Kiss Me Kiss Me Kiss Me, autrement dit, pop, chatoyant, rempli de guitares pleines de reverb et au son inimitable, claviers new-wave. Malgré la longueur, on ne s'ennuie jamais avec cette chanson plus légère que le reste (excepté Lovesong) de l'album, et qui compte, malgré sa 'gaieté', parmi les meilleures.

Closedown : Indéniablement le moins bon des douze de l'album, ce qui n'empêche pas Closedown d'être plutôt pas mal. La mélodie de claviers est cependant un peu redondante et pas très intéressante, une fois passée la première minute, on est assez lassé, malgré l'excellence de l'interprétation (musicale mais surtout vocale). Paroles assez peu nombreuses (dans le livret dépliant, elles prennent seulement six lignes), et assez sombres sur un homme ne parvenant pas à trouver le sommeil, ne parvenant pas à trouver, autour de lui, d'autres sentiments que la moquerie, le cynisme. Un homme en quête d'amour et de repos. Closedown est donc une chanson assez glauque, ce qui est accentué par les claviers. Une chanson plutôt correcte, mais on évitera de la comparer avec les onze autres, car sinon, quelle déception !

Lovesong : La plus légère, car Lovesong, courte (3,30 minutes, c'est la plus courte) est une chanson d'amour, comme son titre le dit si bien. Mélodie imparable et pop, chant plein d'espoir (entendre Smith chanter I will always love you, c'est quelque chose), durée un peu courte mais au final assez convenable (plus longue, la chanson aurait été caricaturale), Lovesong est, avec Lullaby et Pictures Of You, une des chansons les plus connues de Disintegration. Une de mes préférés de l'album, même s'il n'y à pas grand chose à dire à son sujet : c'est pop, frais, léger, joyeux, très différent du reste de l'album.

Last Dance : Une de mes grandes préférées de l'album. Avrai dire, je ne comprend pas comment cette chanson (et Homesick) étaient absentes du vinyle initial ! Enfin, si, je sais : ainsi, les 10 chansons restantes tenaient sur un seul disque vinyle. Mais, quand même, c'est un crime de les avoir virées pour le vinyle (les 12 titres ne tiendraient pas sur un seul vinyle, mais sur deux, et alors ? Disintegration n'aurait pas été le seul double album de l'histoire, non ?). Last Dance est une chanson tout simplement grandiose, une des meilleures de l'album. Une chanson bien sombre, mélodie entêtante (arpèges de guitare, synthés incroyables), chant parfait, paroles assez sombres... Une réussite totale !

Lullaby : La seule chanson de Disintegration qui passe encore couramment, fréquemment, à la radio. Lullaby, et son clip remarquable et assez glauque, parle d'un homme cauchemardant, rêvant d'une araignée géante qui, dans son sommeil, va venir le bouffer après l'avoir saucissonné dans ses rets. Le titre de la chanson signifie 'comptine'. Le clip montrait un Robert Smith outrageusement maquillé (son look), progressivement enfermé, sur son très gothique lit, dans une gigantesque toile d'araignée, regardant avec peur vers une araignée que l'on ne verra pas, nous. Mélodie parfaite (quels arpèges de guitare ! les arrangements lyriques !), chant bluffant, à la limite du chuchotement (sauf la phrase His arms around me and his teeth in my eyes, glapie avec dégoût et terreur), Lullaby est une pure merveille.

Fascination Street : Ca devient plus lourd et, surtout, plus sérieux. Fascination Street commence la deuxième partie de Disintegration, plus longue (rien que les titres 7 à 10, additionnés, font  la totalité de la durée des titres 1 à 6) et plus sombre. Et plus réussie, aussi, même si ça n'enlève rien à la qualité de la première partie de l'album. Guitares saturées, ambiance très rock et pesante, chant énergique et surtout à la limite de l'hystérie (quand on sait à quel point Smith chante d'une voix atone), faisant penser à One Hundred Years (Pornography), cette chanson est sensationnelle. La ligne de basse de Gallup est fantastique, elle galope (pour faire un mauvais jeu de mots avec le nom du musicien, ah ah ah) et est, de toute façon, comme pour les autres chansons, un des atouts du son curien sur ce disque. Immense. Le morceau dure 5,15 minutes de folie pure.

Prayers For Rain : 6 minutes remarquables que l'on peut qualifier de morceau le plus intense et sombre de Disintegration. Prayers For Rain est limite flippant, en fait. Tout, dans cette chanson, est inquiétant et déprimant (et magnifique, aussi, car c'est assurément une des plus belles du groupe, et pas seulement de l'album) : la mélodie, lancinante, pesante, ce riff de guitare très sombre et lent, ce piano cristallin, ces arrangements lyriques, ce chant morbide et résigné... Les paroles, aussi : une chanson s'appelant 'prières pour la pluie' ne peut parler que de choses sombres ou bien d'Indiens dansant autour de leurs tipis, et je peux vous assurer que je n'ai pas vu le moindre Indien ici. Une chanson monumentale qui laisse un profond sentiment de malaise, mais, en même temps, on en redemande. Et ça tombe bien, vu que la suite est du même acabit, dans un sens.

The Same Deep Water As You : Morceau le plus long de l'album (9,20 minutes), The Same Deep Water As You est une chanson très sombre, peut-être pas autant que Prayers For Rain, mais tout de même, on est loin, ici, d'orfèvreries pop à la Just Like Heaven, Close To Me ou Friday I'm In Love. Le rythme, ici, est lancinant, languissant, la mélodie se traîne (ce n'est pas un reproche, vu que la chanson est vraiment belle, même si, soyons francs, ce n'est pas le sommet de l'album - et pas ma préférée non plus), le chant est douloureux. Dans l'ensemble, c'est une chanson envoûtante, aquatique de part son titre et ses paroles, mais sans doute un peu trop longue quand même, je pense que retirer deux minutes ne serait pas un mal. Pas ma préférée ni la meilleure, mais c'est franchement excellent et ça donne encore une fois froid dans le dos !

Disintegration : 8,20 minutes pour cette chanson, qui a donné donc son titre à l'album. Changement radical d'ambiance : guitare saturée, basse virevoltante (il faut l'entendre !), chant plus tendu et mouvementé, synthés fantastiques, batterie puissante de Williams, Disintegration est une chanson assez rythmée, même violente, une chanson pleine de fougue, de furie, de tension, de vivacité. Aucun répit, le chant devient de plus en plus énergique, Smith en arrive même à brailler, sa voix devient grésillante et bizarre, la tension est à son rythme et, durant 8 minutes, ne se relâche pas. Les motifs de claviers, mélangés à la basse, créent des sons inoubliables. Une grande, grande chanson !

Homesick : Comme Last Dance, absent du vinyle. Et comme Last Dance, c'est inqualifiable d'avoir mis de côté ce Homesick long (7, 10 minutes) et magnifique tout simplement pour faire un disque simple, afin que l'auditeur n'ayant pas envie d'acheter le CD puisse, au moins, ne pas dépenser trop cher pour le vinyle (un double, ce que l'album aurait été si les 12 titres avaient été mis sur vinyle, est plus cher qu'un simple, forcément). Homesick est une chanson lancinante, triste comme un jour de pluie en juillet-août (vous savez de quoi je parle, vu qu'on a eu un été bien pourri en général), interprétée avec anti-fougue par un Robert Smith plus que concerné. Le chant est triste, pesant, comme résigné, magnifique aussi. Une chanson sombre, triste, pesante, oppressante quelque part, mais sans la violence latente de Prayers For Rain ou la furie de la chanson-titre. Magnifique.

Untitled : Etrange titre qui semble commencer par de l'accordéon, avant de passer à des sonorités plus curiennes. Untitled n'a, comme son nom l'indique, pas de nom en fait. Bizarre, non ? 6,30 minutes absolument magnifiques, faisant penser aux morceaux de la première partie (Plainsong, Pictures Of You), une mélodie de guitare et claviers tout simplement inoubliable, mélancolique mais pas triste, on sent un peu de légèreté derrière tout ça, il faut dire qu'après une telle série de chansons sombres (de Last Dance à Homesick), tout paraît joyeux à partir du moment où la guitare sonne légèrement, sans ambiance oppressante ou pesante. Untitled achève à merveille ce disque, et donne envie de le réécouter illico !

Au final, que dire ? Même si, pour moi, Pornography est supérieur à Disintegration, ce dernier reste quand même un immense album de The Cure, rempli de chansons enivrantes. Un disque certes long et rempli de longs titres (arrivé à la septième chanson, soit au centre de l'album niveau tracklisting, vous n'en êtes qu'à approximativement 30 minutes, soit moins de la moitié de l'album, niveau durée !), et, certes, très triste et même pesant par moments, mais c'est une sorte de mélancolie magnifique qui plane quand on écoute l'album. Deuxième volet d'une trilogie constituée de Pornography en premier (Pornography est aussi le dernier volet d'une autre trilogie constituée de Seventeen Seconds en 1980 et de Faith en 1981) et, en dernier, de Bloodflowers (2000), Disintegration est un sommet pour la bande à Robert Smith, et un vrai best-seller !