Pour ce nouveau et 256ème Track-by-track, un album live. Pas n'importe lequel, car il s'agit du Live Peace In Toronto 1969, sorti en 1969 sous une belle pochette bleue (avec un nuage), et unique album live d'un éphémère supergroupe n'ayant duré que le temps d'une série de concerts, le Plastic Ono Band. Ce supergroupe était constitué de John Lennon (chant, guitare), Yoko Ono ("chant"), Eric Clapton (guitare), Klaus Voormann (basse) et Alan White (batterie). Un an plus tard, Lennon sortira son premier vrai opus studio, qui sera appelé John Lennon/Plastic Ono Band, mais le groupe qui l'accompagnera sur ce disque studio ne sera pas vraiment le même (plus de Clapton). Ce live est constitué d'une face jouée par le groupe avec Lennon au chant, et d'une face jouée par le groupe, mais surtout avec Yoko au chant. Ce disque, de 39 minutes, le voici :
Blue Suede Shoes : 4,05 minutes pour ouvrir le bal. Avec une reprise de la fameuse chanson immortalisée par Elvis Presley (et aussi par Carl Perkins), Blue Suede Shoes, classique absolu, un des standards rock'n'roll par excellence. Sur cette première face, le POB (Plastic Ono Band) s'amuse à revisiter des classiques, on sent que le groupe de Lennon s'est éclaté à les jouer live, même si ce n'est pas toujours concluant. Ici, c'est, par exemple, moyennement concluant : le son global est gras, le groupe ne semble pas s'être encore totalement accordé, niveau instruments, le chant de Lennon (Lennon, paraît-il, n'aimait pas du tout s'entendre, il n'aimait pas sa voix) est puissant mais pas totalement réussi... Cette reprise est marrante, musclée, mais sans grande subtilité. Pas de l'amateurisme non plus, mais quand même un peu décevant.
Money (That's What I Want) : Autre reprise, celle du Money (That's What I Want), chanson de Barrett Strong, écrite par Berry Gordy (patron de Motown Records) en 1959, initialement présente sur With The Beatles, le deuxième album du groupe (1963). C'est aussi nerveux et musclé que pour la chanson précédente (en fait, toute la face A est dans cet état d'esprit), et sans doute un peu meilleur, niveau interprétation. Après, ces 3,25 minutes ne sont pas, non plus, quintessentielles, mais ça se laisse vraiment bien écouter !
Dizzy Miss Lizzy : Reprise de la fameuse chanson de Larry Williams, que les Beatles avaient repris en 1965 sur Help ! et qui est, ici, interprétée avec fougue par un Lennon survolté. C'est, sur cet album, la dernière reprise d'une chanson étrangère aux Beatles. C'est nettement meilleur que Blue Suede Shoes et moins bon que Money (That's What I Want), autrement dit, c'est du correct, mais pas exceptionnel non plus, une reprise sympathique, puissante niveau force de frappe, mais sans grande subtilité.
Yer Blues : Fameuse chanson que Lennon a écrite un an et demi auparavant, et qui se trouve en deuxième position sur le deuxième des deux disques du Double Blanc. Yer Blues, chanson sombre comme un tunnel non éclairé, est une chanson suicidaire, que Lennon avait composée à Rishikesh, alors qu'il se sentait mal, le bourdon, mal du pays, etc. Cette version live est assez puissante, à vif, l'interprétation est efficace et dure. Autant le dire, cette reprise de Yer Blues est aussi efficace que la version studio de 1968, si ce n'est plus, par moments !! Un des grands moments de Live Peace In Toronto 1969.
Cold Turkey : Ce n'est pas vraiment une reprise, puisque Cold Turkey (argot de junkie pour 'être en manque de came') est une chanson écrite récemment (au moment de la sortie du live, hein) par Lennon, qui parle ici, à mots couverts (Cold turkey got me on the run), de son addiction à l'héroïne, sujet qui avait déjà été abordé au sein des Beatles (Yer Blues, Everybody's Got Something To Hide Except Me & My Monkey, Happiness Is A Warm Gun). Une chanson surpuissante (un riff excellentissime), très bien interprétée ici, un des classiques de Lennon en solo pour tout dire.
Give Peace A Chance : La face A, face accessible et lennonienne, s'achevait sur Give Peace A Chance, autre chanson récente que Lennon composa en solo. Une chanson anti-guerre, datant de sa période bed-in, une chanson remarquable mais répétitive (on entend Lennon, au début, dire qu'il ne se souvient plus trop des paroles, assez ironique), dans le genre Instant Karma ! en moins mélodique, en plus direct. Excellente chanson, reprise assez convaincante et sympathique. Après cette chanson, l'album devient difficile.
Don't Worry Kyoko (Mummy's Only Looking For Her Hands In The Snow) : La face B est la face Yoko. Si le Plastic Ono Band joue derrière (des mélodies répétitives et lancinantes, rock et hypnotiques), c'est elle qui s'occupe de tous les vocaux. D'une durée de 4,50 minutes, Don't Worry Kyoko (Mummy's Only Looking For Her Hands In The Snow) est une chanson qui était sortie en single (en version studio) en face B d'une chanson de John. Le titre est totalement ravagé (Kyoko était la fille de Yoko), la chanson l'est encore plus. Avez-vous déjà entendu un chat se faire étrangler ? Non ? Alors, écoutez cette chanson, dont le seul avantage est de durer moins de 5 minutes (non, je dis ça, parce que sur le disque live de l'album Some Time In New York City de 1972, cette chanson atteint 16 minutes ; alors ne vous plaignez pas !!!)...
John, John (Let's Hope For Peace) : 12,40 minutes. Une improvisation vocale ahurissante d'insoutenabilité de la part de Yoko, qui braille, tout du long, Joooooooohn, Joooooooohn... Leeeeeeet's hooooooooope foooooooooor peeeeeaaaaaaace... avec, en fond sonore, le Plastic Ono Band en mode pilotage automatique. Là, pour le coup, c'est long. A noter que le live fut filmé, qu'il existe en DVD. Je ne sais plus à quel moment de la prestation de Yoko ça se situe, mais à un moment donné, la caméra filme Clapton, qui regarde le viseur et fait un regard sourcillant, douloureux, du style mon Dieu, mais quelle folle !, et qui résume bien la situation. Apparemment, à part Lennon, personne n'appréciait ça, et comme on les comprend !
Au final, que dire ? Album parfois difficile, entre l'interprétation back to the bone et très sèche du groupe sur la face A et les expérimentations vocales avant-gardistes difficilement écoutables de Yoko sur la face B, Live Peace In Toronto 1969 est un disque live aussi culte que controversé. Après trois albums avant-gardistes et inaudibles (entre 168 et 1969), ce live de Lennon et Yoko (et leur groupe éphémère) est nettement plus écoutable et réussi, mais reste quand même sacrément osé. Par la suite, Lennon se calmera, mais on sent qu'ici, il avait besoin d'évacuer le stress post-Beatles, et il se fait plaisir en reprenant des standards et des chansons des Beatles. Un live, dans l'ensemble, que j'aime beaucoup, même si sa face B, vraiment, est difficile (il circule une légende urbaine qui voudrait que si on trouve un exemplaire vinyle de l'album dans des brocantes, il ne serait dans ce cas pas rare que la face B soit en parfait état par rapport à la A, comme si elle n'aurait été que peu souvent jouée... J'ai personnellement dégotté un exemplaire vinyle en brocante, et ce n'est pas totalement vrai, la face B est dans le même état un petit peu usé mais pas trop, que la A !). C'est un bon live, à écouter de temps en temps. Mais cette face B, quand même; refroidit pas mal les ardeurs...