Pour ce nouveau Track-by-track, un sommet, sorti en 1977 : Before And After Science, de Brian Eno. Sorti sous une pochette faisant penser à celle du Alertez Les Bébés ! d'Higelin (sorti en 1976), ce qui ne peut être qu'une coïncidence, Before And After Science est le meilleur album de Brian Eno, un disque à moitié instrumental constitué de deux faces bien distinctes : la première '(before') est assez rock, tandis que la seconde ('after') est plus ambiant et expérimentale. Enregistré avec une foule de grands musiciens (Robert Fripp, Fred Frith, Phil Collins, Jaki Liebezeit (batteur de Can), Möbi Moebius, Achim Roedelius (tous deux d'un groupe allemand de musique expérimentale, Cluster), Phil Manzanera, Paul Rudolph et Rhett Davies, produit par Eno et Rhett Davies, l'album est une pure merveille de 39 minutes (pour 10 titres), qu'il faut à tout prix écouter au moins une fois dans sa vie, et que voici :
No One Receiving : Ahurissant morceau pour ouvrir la face A, la face 'before science' en quelque sorte, la face rock de l'album. Enregistré avec le bassiste (et guitariste ryhtmique) Paul Rudolph, le batteur Phil Collins, le bassiste Percy Jones, le claviériste et guitariste Rhett Davies (qui coproduit l'album comme je l'ai dit) et avec Eno au piano, percussions et chant, No One Receiving est une sorte de funk-rock hallucinant de quasiment 4 minutes, qui embarque l'auditeur dans une atmosphère totalement débridée. Le contraste entre la voix assez morne, flegmatique d'Eno (une superbe voix, en même temps) et la musique assez funky est total et étonnant. Un morceau franchement grandiose que ce No One Receiving introductif. In these metal ways...in these metal days...
Backwater : 3,45 minutes à peu près aussi énergiques et enjouées que pour le premier morceau. Backwater est un morceau rempli de cuivres (joués, comme le piano et la guitare rythmique, par Eno, qui chante aussi ; toutes les parties vocales sont signées Eno), interprété aussi par Paul Rudolph à la basse et Jaki Liebezeit, immense batteur allemand de Can, à la batterie donc. Encore une fois, le contraste est total entre la musique assez débridée, relâchée, totalement rock avec cependant de belles touches de dinguerie, et le chant plein de morgue d'un Eno hallucinant et en total self-control. Cependant, quand il chante Backwateeeeeeer, on sent qu'il est de bonne humeur, le gars (dont le vrai nom complet est Brian Peter George St John Le Baptiste De La Salle Eno) ! Une excellente chanson du même ordre que No One Receiving.
Kurt's Rejoinder : Ah, ça commence à devenir un peu chelou. Kurt's Rejoinder offre la possibilité, pour Eno, d'utiliser une technique alors peu courante, le samplage. On y entend en effet la voix de Kurt Schwitters (qui est crédité en tant que voix), un extrait sonore issu de Ur Sonata. Schwitters était un poète et peintre allemand, anarchiste et surréaliste dans l'esprit du dadaïsme, mort en 1948. Et la Ur Sonata, un poème sonore, date des années 20 ! Court (2,55 minutes), Kurt's Rejoinder est, sinon, interprété par Dave Mattacks à la batterie, Percy Jones à la basse, Shirley Williams aux percussions (des timbales), et Eno, en plus du chant, s'occupe des claviers (piano, synthétiseur). C'est encore une fois un morceau remarquable, plus ambient que les précédents. On sent que l'album va progressivement passer à un tout autre style, Kurt's Rejoinder en est une sorte d'avant-goût. Excellent.
Energy Fools The Magician : Morceau le plus court de l'album avec 2,05 minutes, Energy Fools The Magician a été enregistré avec Percy Jones à la basse, Phil Collins à la batterie et Fred Frith à la guitare. Eno s'occupe des claviers et de quelques choeurs, mais pas de paroles sur ce morceau, sinon. Un morceau très ambient, très atmosphérique et calme, aérien, vaporeux, étrange aussi. En total contraste avec le morceau suivant, Energy Fools The Magician aurait eu plus sa place sur la face B, et est une pure merveille de plus pour l'album !
King's Lead Hat : Morceau très rock et enjoué achevant la face A, King's Lead Hat est un anagramme, celui de Talking Heads, fameux groupe de rock anglo-américain dont le premier album date de 1977. Eno produira le groupe pour trois de leurs albums, de 1978 à 1980 (leurs meilleurs albums, par ailleurs), cette anagramme n'est évidemment pas innocente et une coïncidence ! Le morceau est remarquable, 3,55 minutes assez enjouées, le chant d'Eno est très léger, quasiment guilleret ici, tout en conservant un certain flegme, une morgue toute britannique. Eno joue aussi de la guitare rythmique et des claviers ici. Son vieux compère de Roxy Music Phil Manzanera (guitare rythmique), ainsi que Paul Rudolph (basse), Andy Fraser (batterie) et Robert Fripp (guitare) jouent sur ce morceau franchement excellent et ne préparant pas du tout à ce qui va suivre sur la face B.
Here He Comes : La face B, la face 'after science' en quelque sorte, la face ambient, commence avec ce Here He Comes assez long (5,40 minutes) et totalement réussi. Le morceau a été enregistré avec Dave Mattacks (batterie), Phil Manzanera (guitare) et Paul Rudoplh (basse) et Eno au chant et claviers divers (piano, moog, synthétiseur). Here He Comes est une morceau planant, envoûtant, sur lequel la voix d'Eno, lente, aérienne (Here He cooooooooooomes) est inoubliable et totalement magnifique. Certes, le morceau est long (et le morceau suivant le sera encore plus), mais il est aussi et surtout totalement réussi, grandiose même.
Julie With... : 6,20 minutes (morceau le plus long) pour ce Julie With... enregistré avec Paul Rudolph à la basse. Eno, lui, tient le chant, et les claviers, ainsi que la guitare. Pas de batterie. Un morceau totalement ambient, atmosphérique, doté d'une ambiance remarquable, aussi planante que lugubre par moments. Une mélodie minimaliste, accentuée par le chant atone, flegmatique mais concerné d'Eno, toujours aussi sublime. Julie With... est un des morceaux les plus planants et expérimentaux de l'album, et c'est probablement mon deuxième ou troisième préféré de l'album (avec Spider And I, je n'arrive pas à mettre l'un des deux devant l'autre). Mon préféré est le morceau suivant, en revanche.
By This River : Probablement le morceau que je préfère sur Before And After Science. By This River, 3 minutes en tout, est une pièce absolument sensationnelle. Le morceau a été enregistré avec Achim Roedelius (pianos) et Möbi Moebius (bass Fender piano), de Cluster, groupe ambient allemand, et avec Eno au chant et au CS80 (un modèle de synthétiseur, sans doute). By This River est un morceau relaxant, zen, touchant, bouleversant même, une mélodie de claviers répétitive et déchirante, de toute beauté, et la voix douce, zen, triste aussi d'Eno. Un morceau tout simplement beau à pleurer, sur lequel il n'y à pas grand chose à dire, si ce n'est : écoutez-le, de toute urgence ! C'est si beau...
Through Hollow Lands (For Harold Budd) : 4 minutes instrumentales. Enregistré avec Fred Frith aux guitares, Bill MacComack à la basse et Shirley Williams créditée au 'temps' ('time'), et Eno s'occupant de tous les claviers, Through Hollow Lands (For Harold Budd) est un morceau enivrant, envoûtant, totalement planant, dédié à Harold Budd, un musicien avant-gardiste américain ami d'Eno (qui le produira). Un morceau fantastique, étrange, au climat assez oppressant par moments (les claviers offrent des atmosphères vraiment spéciales, des sonorités assez étranges, mais c'est sublime, aussi et surtout). Un morceau sensationnel.
Spider And I : 4,10 minutes inoubliables, baignées de synthétiseurs (joués par Eno, qui chante aussi et s'occupe des autres claviers, tandis que l'autre musicien ayant fait ce morceau avec lui est le bassiste Brian Turrington), pour achever Before And After Science sur une note vraiment sensationnelle, sublime. Spider And I est une des pièces maîtresses de l'album et du répertoire d'Eno. La voix d'Eno fait penser à celle de Roger Waters, de Pink Floyd, mais c'est bel et bien la voix d'Eno. Une mélodie inoubliable à base de claviers, la voix d'Eno, tout concourt à faire de ce morceau une pièce de collection, comme l'album en totalité. Magistral !!! Et, comme By This River, beau à pleurer, aussi.
Au final, Before And After Science est bel et bien le sommet absolu d'Eno, même s'il est mons connu que Another Green World (1975) ou Here Comes The Warm Jets (1974). L'album est sorti à l'époque avec une série de quatre dessins assez pastel glissés dans la pochette (il était d'ailleurs indiqué, au dos, sous le titre de l'album, la mention 14 pictures, alusion aux 10 titres et aux 4 images), dessins que l'on peut voir sur la page Wikipédia (la page anglaise) de l'album et qui n'ont hélas pas été mis dans le livret CD (il est d'ailleurs indiqué 10 pictures au dos du CD). Dans l'ensemble, avec sa face rock et sa face ambient (le titre de l'album, déjà, tend à expliquer qu'il y à deux faces distinctes, deux mini-albums, dans l'album), Before And After Science est un chef d'oeuvre.
De la grosse et pure merveille... Incroyable, aussi, comme la voix d'Eno ressemble à celle de Waters sur "Spider And I" ! (et aussi quelques ressemblances sur Julie With !)
Par contre, je trouve que le vinyle est mal agencé: "Here He Comes" placé sur la face A, ça réduisait l'écart de temps entre les deux faces !