Pour ce 216ème Track-by-track, un disque remarquable sorti en 1970, double album à l'époque (tout tient sur un seul CD de 68 minutes désormais), et le deuxième album d'Amon Düül II, groupe de krautrock (rock progressif et expérimental allemand) allemand crée après la cission d'un ancien groupe, Amon Düül (qui a continué d'exister en tant que tel, mais est moins connu). Ce deuxième album s'appelle Yeti et il est sorti sous une pochette assez terrifiante montrant Falk Rogner, un roadie du groupe (décédé au moment de la sortie de l'album, si je ne me trompe pas) en robe et tenant une faux, emblème de la Mort, et sur un fond assez apocalyptique. A l'intérieur aussi, une illustration assez marquante montre, outre un homme tombant dans le vide et un cheval ruant (on ne voit que ses pattes avant et sa tête), une pagode avec, à chaque fenêtre, un des membres du groupe (et un curieux homme à tête de crâne de cheval, sorte d'emblème du groupe, que l'on revoit aussi sur la pochette de Tanz Der Lemminge). Ambiance assez étrange, irréelle, bergmanienne... Et disque tout aussi étrange, que voici :
Soap Shop Rock : Ce morceau d'environ 13,40 minutes est séparé en quatre pistes audio que voici :
a) : Burning Sister : Première partie de Soap Shop Rock, Burning Sister dure 3,45 minutes et est interprété soit par John Weinzierl (guitare), soit par Chris Karrer (violon, guitare), soit par Shrat (bongos). En effet, il n'est pas précisé exactement de qui chante ce morceau (et le suivant, et pas mal des autres de l'album). Cette première partie possède une ambiance sulfureuse absolument saisissante, on y parler d'un homme assistant, sur un terrain, à la mort de sa soeur, brûlée vive sur un bûcher, apparemment c'était une sorcière, ou une femme considérée comme telle. On pense au film La Marque Du Diable, film d'horreur allemand (en fait, un film d'exploitation à multiples nationalités) qui parlait de l'Inquisition. Le film, je crois, date de la même année, ou peut-être même d'après 1970. Si je pense à ce film, c'est surtout parce que je l'ai vu et que j'ai fait entre la chanson et le film, une association d'idée assez personnelle, en même temps ! Excellent morceau, intro fantastique par ailleurs.
b) : Halluzination Guillotine : 3,10 minutes pour Halluzination Guillotine, deuxième des quatre parties de la suite Soap Shop Rock. Ligne de basse en intro et climat plus pesant, rythme plus lourd, cette deuxième partie, interprétée par le même chanteur (vois étrange, rauque, sulfureuse et assez inhabituelle) est assez marquante. La chanson, qui s'enquille directement sur la précédente et sur la suivante (aucune pause, normal, c'est une suite et, en fait, un long morceau de 13, 40 minutes qui a été scindé en quatre sous-parties en CD - sans doute en vinyle aussi, mais comme je n'ai jamais eu le vinyle entre les mains, je ne sais pas si on voyait, sur les sillons, les séparations de parties ou non), est encore une fois une réussite, assez glauque et sombre, celle-là.
c) : Gulp A Sonata : 45 secondes seulement pour cette troisième et avant-dernière partie de Soap Shop Rock. Gulp A Sonata est une aria de la part de Renate, et ce court morceau, qui passe quasiment inaperçu et s'enchaîne très directement au suivant (comme les deux précédents) contient la même ambiance un peu étrange, aérienne et totalement germanique, à l'album. Difficile de ne pas voir en Renate une Walkyrie moderne... Pas mal, mais pris séparément, ça n'a aucun intérêt, enfin, quasiment aucun (la voix de Renate est sublime ici).
d) : Flesh-Coloured Anti-Aircraft Alarm : 6,05 minutes pour achever Soap Shop Rock, et c'est le meilleur passage de cette longue suite. Flesh-Coloured Anti-Aircraft Alarm ('Alarme anti-aérienne de couleur chair', chapeau, le titre !) démarre par une belle ruade de batterie, un riff puissant et surtout, surtout, le violon de Chris Karrer. Le chant est tenu par le même membre que pour les deux premières parties de la suite (et c'est le même chanteur que pour es autres morceaux de Yeti, à deux exceptions près), chanteur que je n'ai pas pu identifier, comme je l'ai dit plus haut. Cette quatrième et ultime partie de Soap Shop Rock est une vraie réussite krautrock, qui s'achève par ailleurs sur le thème principal entendu en début de Burning Sister. Puissant.
She Came Through The Chimney : Instrumental à part de Soap Shop Rock, au titre étrange ('Elle vient du plafond'), sans doute une allusion caustique à la fameuse chanson des Beatles (She Came In Through The Bathroom Window de l'album Abbey Road de 1969) ! 3 petites minutes enivrantes, remarquables, acoustiques en prédominance (une sublime partition de guitare est entendue tout du long). Ce morceau étonnant et quelque peu répétitif (mais ce n'est pas gênant) achève très bien la face A.
Archangels Thunderbird : J'ai longtemps cru que le chant, ici était masculin, mais en fait, Archangels Thunderbird, qui ouvrait la face B de Yeti, est interprété par Renate. C'est un des morceaux les plus rock pur de l'album (en fait, c'est tout simplement du hard-rock pur et dur). Autant le dire, le chant est assez nasillard et poussé, au point qu'il en est un peu énervant à la longue. Pour ça je n'ai jamais considéré Archangels Thunderbird comme une grande chanson, mais ce hard-rock de 3,30 minutes est quand même très efficace (les guitares !) dans son genre.
Cerberus : Vraisemblablement basé sur une mélodie tzigane (du moins, au départ), Cerberus est un de mes morceaux préférés de Yeti, et aussi un des plus space. Instrumental, il est totalement oppressant, et même terrifiant dans sa dernière partie. Le morceau n'est pas trop long (4,20 minutes) et offre une palette d'ambiances remarquable. Après un Archangels Thunderbird pas mal mais trop rock par rapport au reste du disque, on retrouve ici l'atmosphère lugubre et bergmanienne, un peu scandinave, du début de l'album. Un très grand morceau !
The Return Of Rübezahl : Une suite de trois pistes audio que voici :
a) : The Return Of Rübezahl : Le Rübezahl est une créature du folklore germanique, une sorte de nain, ou de géant, ou bien un esprit des montagnes, qui vit, justement, dans les montagnes et est aussi amical avec les gens de bons sentiments que méchant avec ceux qui se moquent de lui. Il ne serait pas beau à voir, disgrâcieux. N'espérez cependant pas en savoir plus en écoutant The Return Of Rübezahl : ce morceau très court (1,40 minute) ouvrant la suite du même nom, laquelle suite n'est pas explicitement indiquée sur le CD (mais sur le vinyle, oui) est en effet un instrumental ! Et un instrumental assez étrange, oppressant même (pas autant que Cerberus), distillant une atmosphère assez sulfureuse et enivrante, mais, en même temps, un peu angoissante. Excellent.
b) : Eye-Shaking King : 5,40 minutes chantées qui m'ont toujours fait penser à une version krautrock du Venus In Furs du Velvet Underground. Le chant est assez space sur ce Eye-Shaking King, deuxième morceau de la suite The Return Of Rübezahl (je rappelle que la suite n'est pas explicitement créditée sur le CD, contrairement à Soap Shop Rock). Quand je dis 'assez space', je veux dire, bidouillé par une sorte de vocoder, qui le rend assez incompréhensible et surtout, totalement flippant. Morceau lourd, pesant, franchement remarquable, un des plus à part de l'album et un de mes préférés. Géantissime
c) : Pale Gallery : Final de la suite The Return Of Rübezahl, et aussi dernier morceau de la face B, Pale Gallery est un instrumental très court (2,15 minutes) assez étrange et répétitif, mélodie minimaliste et un peu angoissante. Le morceau est lourd de sens, lent, il ne s'y passe pas grand chose, mais tout du long, on sent une tension palpable, latente, qui ne demande qu'à exploser. Autant le dire tout de suite, ça n'arrivera pas. Mais Pale Gallery est une réussite de plus, même si le morceau est, au départ, assez décevant, car musicalement assez sobre et répétitif.
Yeti (Improvisation) : 18, 10 minutes, occupant toute la face C. Yeti est la première des trois improvisations de l'album, et elle est chantée, même si les paroles ne sont pas légion et, surtout, pas importantes. Le morceau mérite totalement son sous-titre entre parenthèses, c'est vraiment une totale improvisation, techniquement irréprochable, musicalement très très intéressante. En fait, Yeti est tout simplement un des joyaux de l'album avec Cerberus, Soap Shop Rock et Eye-Shaking King ! Difficile d'en parler, car, comme tout morceau de la sorte, c'est assez indescriptible. Vous adorerez ou détesterez, tout dépend si vous aimez ou pas ce genre de musique expérimentale et progressive.
Yeti Talks To Yogi (Improvisation) : 6 minutes et 15 secondes pour cette deuxième improvisation, au titre semblant répondre à celui de la précédente : Yeti Talks To Yogi. Ouvrant la face D, cette improvisation est techniquement remarquable, bien cintrée, pas autant que Yeti, clairement, mais franchement, c'est du bon boulot. J'aurais cependant préféré que la durée de ce morceau et celle du suivant soient interverties, pour tout dire !!
Sandoz In The Rain (Improvisation) : Dernière des improvisations, Sandoz In The Rain, 9 minutes, est chanté. Les musiciens (et chanteur) sont ceux d'Amon Düül I, le premier des deux groupes, le plus engagé politiquement parlant (à la base, c'était un groupe de happenings musicaux, une communauté un peu hippie ; Amon Düül II, en revanche, est un pur groupe de rock, bien qu'expérimental). Une chanson très belle, acoustique, ambiance un peu Katmandou/patchouli/fume, c'est du belge. Sandoz In The Rain achève Yeti sur une note reposante, zen, calme comme c'est pas permis. C'est aussi la moins exceptionnelle des trois improvisations du disque (vinyle) 2, mais rien de grave, c'est quand même très bon.
Au final, Yeti est un album sensationnel. Je ne peux m'empêcher de penser au double Tago Mago de Can (autre groupe de krautrock, et donc, autre groupe allemand), datant de 1971, soit un an après Yeti. Les deux albums ne sont pas seulement doubles et de krautrock, mais chacun de ces deux albums contient un premier disque assez rock (expérimental, certes, mais quand même accessible et rock) et un deuxième disque totalement expérimental, quasi instrumental, et avec, en conclusion, une pièce musicale acoustique reposante histoire de faire retomber la pression (et, aussi, une morceau occupant toute une face, dans les deux cas). Mais Tago Mago est plus extrémiste et inclassable que Yeti, qui offre une atmosphère glauque et étrange tout du long, mais est un peu plus accessible. Dans l'ensemble, avec son disque (vinyle) rock et son disque d'improvisations krautrock, Yeti est une réussite totale. Le groupe, par la suite, fera un Tanz Der Lemminge (1971) également double et encore plus expérimental, et également fantastique. Si vous avez aimé Yeti, ruez-vous donc dessus ensuite !