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Pour ce 182ème Track-by-track, un disque sensationnel comptant parmi les sommets du rock, et plus particulièrement du glam-rock : Transformer, deuxième album solo de Lou Reed, sorti, comme le premier, en 1972, et produit par David Bowie (qui tient des choeurs et apporte sa touche si personnelle aux 36 minutes de l'album). Transformer, immense succès commercial (un succès tellement ravageur que Lou en sera tout marqué, et fera, avec son album suivant, Berlin, un disque totalement anti-commercial), sorti sous une cultissime pochette que Lou réutilisera en 1982 pour The Blue Mask, est l'album de tous les hits, pour l'ex-Velvet. Au dos de la pochette, un gigolo apparemment gay, avec une banane dans le slip (allusion au Velvet ?) et tenue caricaturale, et une femme en tenue affriolante, probablement un travelo si on y regarde d'un peu plus près (une légende urbaine voudrait que les deux personnages soient Lou Reed déguisé, ce qui est faux). Dans la pochette, 11 titres, dont les hits, et que voici :

Vicious : Vicious, you hit me with a flower, you do it every hour, oh baby, you're so vicious... Inutile de dire qu'avec son riff remarquable et son chant cynique (et ses paroles caustiques), Vicious est une des chansons les plus emblématiques de Lou Reed. Chanson courte (moins de 3 minutes) mais totalement réussie, Vicious offre d'emblée l'atmosphère de Transformer : décadence absolue, souvent légère, sujets assez osés (comme chez le Velvet, mais avec plus de légèreté ici), ambiance un petit peu jazzy parfois (pas ici)... Dificile de parler de cette chanson mythique, il sufit de l'écouter pour comprendre. C'est juste sublime.

Andy's Chest : Le Andy de la chanson (le titre signifie 'La poitrine d'Andy') serait-il Andy 'Drella' Warhol ? En tout cas, une chanson très douce, remplie de choeurs masculins superbes, et avec une ambiance très Weimar/Années 30 à Berlin. Andy's Chest est une chanson remarquable et décadente, le terme convient parfaitement ici. Après un Vicious très vicieux, cette chanson place définitivement les bases de la recette magique de Transformer. Un final remarquable, de plus, achève de faire de cette chanson un petit chef d'oeuvre.

Perfect Day : Indéniablement, et avec une autre chanson, le sommet de l'album. Oui, je sais, ça fait con de dire que Perfect Day, chanson monstrueuse et monstrueusement connue, est le sommet de l'album. Ca fait un peu comme de dire, au sujet de Bohemian Rhapsody, que c'est le sommet de A Night At The Opera de Queen, ou de dire que Start Me Up est le sommet du Tattoo You des Stones (à chaque fois, c'est la chanson la plus connue). Oui, mais ce n'est pas ma faute si les deux chansons les plus connues et monstrueuses de Transformer en sont les sommets, en même temps, ah ah ah ! Perfect Day est une pépite douce-amère inoubliable, interprétée à la perfection, avec des arrangements lyriques à pleurer. A noter, la petite mélodie de piano entendue dans le final (au passage You're going to reap just what you sow) est une des mélodies les plus emblématiques du son glam-rock, on l'entend très précisément dans le Five Years de Bowie (album The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars), de la même année ! Normal, Bowie est derrière les deux albums...

Hangin' 'Round : Chanson très rock et franchement réussie, même si, placée entre deux monstres sacrés, elle a un peu de mal à se faire 'entendre', ah ah ah. Hangin' 'Round est une réussite, cependant, dont la version acoustique (une démo) située en bonus-track CD est également très belle. Alors, c'est vrai qu'être coincée entre Perfect Day et Walk On The Wild Side n'est pas la meilleure place (du tout) pour la chanson, mais il n'empêche, cette chanson très énergique, avec un riff très très efficace, est une des chansons les plus rock et sympathiques de l'album. Vraiment excellent, quoi !

Walk On The Wild Side : Cette chanson est si mythique, avec ses fameux doo doo-doo doo-doo doo-doo-doo-doo du refrain, qu'on l'entend encore très souvent sur les ondes radio du monde entier, et ce, malgré son sujet on ne peut plus trash, tout compte fait : la vie nocturne dans New York, avec tout ce que ça implique (putes, dealers, paumés, gigolos, voyous). Allusions très sexuelles (le passage sur Joe (Allessandro) où on dit qu'il faisait a hustle here and a hustle there - hustler est un terme anglais pour gigolo - et le passage sur Candy, où il est dit qu'elle était la chérie de tous dans les backrooms - inutile de dire ce qu'est un backroom - et qu'elle ne perdait jamais sa tête, même quand elle la donnait - even when she was giving head -, ce qui signifie, même quand elle taillait des pipes ; ce passage sera amputé dans certaines éditions de la chanson), chanson très jazzy, avec ce saxophone final, sublime, et cette basse inoubliable. Walk On The Wild Side est le genre de chanson mythique que tout le monde connait, et à propos de laquelle on ne ressentira jamais aucune lassitude.

Make-Up : L'expression faire son coming-out viendrait-elle de cette chanson remarquable et jazzy ouvrant la face B ? On pense toujours qu'elle vient de la chanson I'm Coming Out de Diana Ross, de 1980, mais Make-Up, qui parle de travestis se maquillant avant de monter sur scène, possède un refrain sans équivoque : Yeah, we're coming out, out of the closet, out on the streets, yeah, we're coming out ('Nous sortons, de nos placards, dans la rue, ouais, nous sortons'). Sublime tuba d'Herbie Flowers, aussi bassiste. Une chanson très courte (3 minutes) mais magnifique.

Satellite Of Love : Une des plus belles chansons de toute la carrière de Lewis 'Lou' Reed. Voilà, au moins, là, c'est clair. Satellite Of Love, qui possède une indéniable touche bowienne (les choeurs sur le refrain, le piano, même si Bowie, sur Transformer, ne se contente, musicalement, outre de produire, que de poser des voix), est une pure petite merveille douce comme une pluie d'été, aussi agréable aux oreilles qu'un bon cru de bordeaux l'est pour le gosier. C'est assez incroyable de se dire qu'un an à peine après cette chanson digne de passer sur les ondes FM un jour de St-Valentin, Lou sortira une collection de chanson aussi noire et cruelle (mais magnifique) que Berlin...

Wagon Wheel : Une très bonne chanson assez peu connue, au final (sauf des admirateurs de l'album et de Lou, évidemment !). Ce n'est pas le sommet absolu de Transformer, mais Wagon Wheel, avec ses sublimes choeurs et son rythme assez remuant, est vraiment une belle petite réussite, une chanson très attachante. Won't you be my wagon wheel... Le chant chevrotant de Lou, ici, est vraiment réussi, et dans l'ensemble, on a encore une fois une très bonne chanson qui n'a sa place, au final, que sur Transformer, si on la compare avec les chansons des autres albums de Reed.

 New York Telephone Conversation : La chanson la plus courte de l'album. Et la plus spéciale. A se demander si ça ne serait pas un petit délire rajouté à la dernière minute, avant l'impression des pochettes, afin de rajouter une minute et trente secondes (car c'est sa durée) à un album qui, sans elle, durerait dans les 35 minutes. La chanson est acoustique, et, en fait, quasiment a capella (piano, et c'est tout), et est, surtout, un duo entre Lou et David Bowie. Autant le dire tout de suite, New York Telephone Conversation, malgré sa courte durée, est une réussite totale, une chanson très sympathique, amusante (I was calling, I was calling, just to speak to you), un peu...téléphonée (humour ! humour !), mais vraiment sympathique. Pas un chef d'oeuvre absolu à faire renvoyer Perfect Day au grenier, mais franchement, pour sa durée et son genre (a capella), c'est superbe.

I'm So Free : La chanson qui me plaît le moins ici, clairement. Je ne vais pas défonçer I'm So Free pour autant : j'ai dit plus haut que Transformer ne contenait aucune mauvaise chanson, ce n'est pas pour revenir dessus et dire que, tout compte fait, ah si, il y en à une. Non, I'm So Free est une bonne chanson très rock, mais, voilà, je ne l'aime pas plus que ça (je ne la déteste pas, mais si je devais classer les chansons par ordre de préférence, elle serait onzième). Les choses qui ne me plaisent pas sont le refrain, assez basique, et la voix de Lou sur cette chanson (le côté 'trépidant/youpi je suis de bonne humeur' ne lui convient pas trop). Les bons trucs : les choeurs, et la mélodie, et la chanson n'est pas trop longue (3,05 minutes). Une chanson correcte !

Goodnight Ladies : Avec cette chanson jazzy toute en finesse, en douceur, Lou prend congé de ses auditeurs, et surtout de ses auditrices. Goodnight Ladies le montre comme un Monsieur Loyal fatigué, on l'imagine sans peine, vêtu de rouge, au centre de la piste obscure avec un spot sur lui pour bien l'éclairer pendant qu'il prend congé et chante, en guise d'ultime adieu, cette chanson. Une des chansons les plus douces et jazzy de l'album, le mérite en est au tuba d'Herbie Flowers et au saxophone de Ronnie Ross. Une superbe chanson faisant aussi penser à un numéro de cabaret, tiens, comme dans le film de Bob Fosse, Cabaret, qui se situe en Allemagne pendant la république de Weimar, années 30, période glam et décadente par excellence, dans un sens... En tout cas, très belle chanson.

 Voilà, au final, ce qu'est Transformer : un chef d'oeuvre de glam pur et dur, un disque de la décadence, qui ose parler des putes, dealers, camés, travelos, gays, gigolos et autres paumés, avec, en plus, une atmosphère très 'Berlin/années 30'. Chef d'oeuvre absolu uniquement surpassé par Berlin, Transformer sera l'album cartonneur de Lou Reed, ce que Lou n'appréciera au final que modérément, le succès commercial n'étant pas vraiment son truc. Presque 40 ans après sa sortie, ce disque reste toujours aussi frais, comme il devait l'être en 1972, et ça, c'est grâce à la sublime production de Bowie. Un disque immense !