Nouveau Track-by-track, et pour la peine, un disque remarquable mais assez mal apprécié, globalement (le groupe lui-même le reniera pendant longtemps, ce n'est plus trop le cas aujourd'hui) : Their Satanic Majesties' Request, sorti en 1967, et unique album psychédélique des Rolling Stones. L'album sortira en fin d'année 1967, année psychédélique par excellence, année de sortie de quasiment tous les classiques du genre. L'album se veut une sorte de synthèse, stonienne mais quand même, de ce courant musical. Le groupe vient de se séparer de leur manager Andrew Loog Oldham (parti de son propre chef), et s'autoproduisent. L'album sera un bide relatif, assez mal aimé, même s'il a tendance à être réhabilité et qu'il ne mérite vraiment pas cette réputation d'album raté. La pochette fait furieusement penser à celle de deux albums des Beatles sortis en 1967, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band (le bric à brac central, dans lequel on distingue les Beatles en plusieurs endroits, avec les Stones déguisés) et Magical Mystery Tour (l'entourage nuageux autour de la photo). L'album, que voici, est le plus étrange del a discographie stonienne :
Sing This All Together : Why don't we sing this song all together ? chantent les Stones (Jagger, avec, dans les choeurs, Richards, probablement Brian Jones, et, aussi, accrochez-vous bien, Lennon & McCartney, qui ont amicalement participé à des choeurs furtifs - Steve Marriott aussi, mais pas sur ce titre), et pourquoi, en effet, ne pas chanter tous ensemble sur cette chanson amusante et gentiment bordélique ouvrant le bal ? Cuivres en pagaille pour ce Sing This All Together plutôt bien foutu, dans le registre de la chanson déglinguée, avec accords dissonant, percussions étranges et exotiques (Brian Jones s'est apparemment éclaté ici). C'est une chanson totalement étonnante, surtout pour un disque des Stones. Une très bonne chanson, en plus.
Citadel : Riff mortel en intro, et totalement stonien. Citadel déchire son slip et permet aux Rolling Stones d'offrir un second titre plus rock et conventionnel, histoire de ne pas totalement perdre leurs fans. Le morceau, assez remarquable, et même grandiose, est un des meilleurs du groupe, et pas seulement de l'album (c'est aussi le cas de trois autres chansons de l'album, tout a pour dire à quel point Their Satanic Majesties' Request est immense). Le chant de Jagger est parfait, il semble, à un moment, dire un petit bonjour à la petite amie de Keith Richards, Anita Pallenberg, et à Marianne Faithfull, qui était la sienne (Hope you both are well). Cette citadelle sonore est un des grands moments de l'album.
In Another Land : Morceau qui compte parmi les plus à part du groupe, et ce, pour la simple, bonne et unique raison qu'il est écrit et surtout interprété par Bill Wyman, le bassiste. Avec, dans les choeurs, Steve Marriott (Humble Pie). Jagger et Richards, absents quand In Another Land fut enregistré, apprécieront le morceau, au point de se rajouter, en re-recording, dans les choeurs. Une chanson baignée de clavecin, superbe et planante, on sent bien les petits champignons magiques ici, c'est indéniable. Wyman chante plutôt bien, d'une voix un peu atone renforcée par un bidouillage studio qui la fait se mêler au clavecin (elle grésille un petit peu, cette voix). Le refrain, qui porte bien la touche des Glimmer Twins, est imparable. Superbe petite (elle est courte) chanson, qui s'achève comiquement sur un gros bruit de ronflement...
2000 Man : Encore une chanson parfaite, et qui fait partie des meilleures du groupe, comme Citadel, comme 2000 Light Years From Home, et comme She's A Rainbow. 2000 Man est une chanson à moitié acoustique, une petite ritournelle folk de science-fiction dans laquelle Jagger (au sommet ici) s'imagine en homme vivant en l'an 2000, avec tout ce que ça implique (modernité, robots...). Reprise (plutôt correctement) par Kiss en 1979, et aussi par d'autres groupes probablement mais je ne vais pas les lister, cette chanson est sublime, attachante, mélange remarquable entre douceur folk et énergie rock (refrain). Magnifique.
Sing This All Together (See What Happens) : Euh...Bon. Ah, ça ne va pas être facile-facile, de parler de ce morceau (qui achevait la face A avec perte et fracas) ! Sing This All Together (See What Happens) est une sorte de suite du morceau qui ouvrait l'album, mais, en même temps, ce n'est pas vraiment le cas. Le morceau, un des plus longs du groupe (et le plus long de l'album, de loin), avec 8,30 minutes, est un instrumental totalement fracassé, une jam-session interminable contenant en son sein suffisamment de cuivres bordéliques, de percussions exotiques et cheloues, d'accord désaccordés et de folie furieuse pour rendre marteau un fan invétéré du groupe ne jurant que par Paint It, Black et Start Me Up. Ben oui, ce sont bien les Galets, ici, sur ce morceau bizarre et passablement foiré (il y à de très bons moments, comme le passage où Jagger, timidement, voix étouffée dans le lointain, reprend les paroles de Sing This All Together), qui a le mérite de ne pas passer inaperçu. Au final, ce morceau, un peu comme le We Will Fall du premier album des Stooges, divise totalement, entre ceux qui pensent qu'il fout en l'air le disque et les autres, plus gentils avec lui. Mais, contrairement à We Will Fall, je ne l'aime pas trop, ah ah ah !
She's A Rainbow : Magnifique chanson bénéficiant d'arrangements signés du grand John Paul Jones (alors pas encore bassiste et claviériste de Led Zeppelin, car Led Zeppelin n'existe pas encore). Longtemps utilisé comme musique de publicité pour Apple, puis pour Manpower, She's A Rainbow, qui sortira en single (USA uniquement), est une magnificence absolue, psychédélique et pop, bénéficiant de tout ce qui permet de rendre une chanson culte et inoubliable. Les arrangements lyriques sont sublimes, les choeurs (Richards) assurent, le chant de Jagger est parfait, la ligne de piano, signée du grand Nicky Hopkins (qui joue aussi sur le premier morceau, notamment), est mythique (le mellotron est signé Brian Jones), même l'intro (un sample vocal de je ne sais qui, rien de musical en tout cas) est excellente ! En résumé, un chef d'oeuvre absolu. Interprétée en live durant la tournée 1997/1998.
The Lantern : Sublime chanson assez lente, un peu longue (4,25 minutes, et encore, ce n'est pas trop long) et plutôt sombre (comme Manoeuvre l'a dit lorsqu'il a abordé cet album dans le Discothèque Idéale de Rock'n'Folk il y à déjà plusieurs années, cette chanson est une petite chanson à la Poe qui attend toujours son Baudelaire en traduction). The Lantern est franchement belle, psychédélique et sombre, elle sortira en face B d'un single assez rare (In Another Land, la chanson de Wyman sur l'album, créditée sur la pochette du single comme étant une chanson de Wyman et pas des Stones ; la face B, elle, sera évidemment créditée aux Stones). Une bien belle petite chanson, pas très connue, mais à écouter.
Gomper : 5,10 minutes totalement rigolotes et invraisemblables. Gomper est un morceau un peu mineur, sur l'album comme dans la discographie stonienne, mais c'est aussi une chanson vraiment sympathique (pour peu qu'on apprécie le rock psychédélique fort en LSD et autres acides). Flûte, percussions, tout concourt à faire de ce Gomper un morceau totalement barge, sur lequel Brian Jones semble encore une fois s'être éclaté aux percussions et autres expérimentations. Honnêtement, le morceau est pas mal du tout, mais franchement trop long (c'est Citadel qu'on aurait aimé durer aussi longtemps), même si on sent bien l'éclate lysergique, bien appropriée au style de l'album, ici. Loin d'être un sommet, donc, mais quand même amusant.
2000 Light Years From Home : Immense. Le dernier sommet absolu de l'album (la chanson suivante, bien que correcte, n'est pas grandiose du tout). 2000 Light Years From Home est une des chansons de l'album, une des rares chansons de l'album, qui survivront au quasi-reniement de l'album par le groupe. Les Stones ne la chanteront pas souvent en live, cette chanson, mais j'ai en ma possession un 45-tours, Highwire (1991), avec, sur la face B, une version live, issue de la tournée Urban Jugle World Tour/Steel Wheels Tour (1989/1990), de cette chanson imparable. Laquelle est une chanson, évidemment, spatiarde, avec effets sonores (mellotron) oblige, qui nous fait voyager dans l'espace, un peu à la manière du Floyd ou de Hawkwind (mais quelques années avant Hawkwind). Rien d'autre à dire, c'est immense.
On With The Show : Le final de l'album nous permet de revenir sur Terre après un voyage interstellaire aussi long que celui de 2000 Light Years From Home. On With The Show, avec son Mick Jagger à la voix légèrement masquée par la production (un peu étouffée, un peu enfumée), est une chanson amusante, sympa, mais certainement pas du niveau des précédentes. C'est une sorte de mini rappel à l'ordre après autant de pépites psychédéliques expérimentant pas mal de choses (Gomper). On With The Show est plus conventionnel, malgré son final à tiroir, et de ce fait, ben, moins intéressant. Ca reste quand même sympathique, mais pas grandiose.
Au final, cet album est bel et bien un des plus essentiels des Stones, et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, il est fantastique, nettement meilleur que ce que pas mal de monde pense (il a une réputation d'album raté qui est franchement dégueulasse) ; ensuite, c'est l'albul le plus à part du groupe, et rien que pour ça, il est donc essentiel ; enfin, c'est tout simplement un des meilleurs albums de rock psychédéliques, toutes nationalités et tous groupes/artistes confondus. Certes, il y à un ou deux titres moyens sur la face B, et, certes, le long morceau achevant la face A est beaucoup trop space, mais dans l'ensemble, ce disque étonnant et étrange remplit bien son office, faire tripper les auditeurs. Une réussite.