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Pour ce nouveau Track-by-track, le 115ème, un alum sorti en 1970, double à l'époque (depuis, tout tient sur un seul CD de 74 minutes, pour 24 titres), premier album de la décennie 70 pour Bob Dylan : Self Portrait. Ce disque est contesté, controversé. A sa sortie, il sera vertement critiqué. Un critique rock américain pourtant très dylanien, Greil Marcus, titra son article/critique d'un What's this shit ? ('C'est quoi cette merde ?') rageur et depuis culte. L'album se vendra, mais moins bien que les autres albums du Barde, et il est aujourd'hui encore, et même s'il est un peu réhabilité parfois, considéré comme un des ratages de Dylan, et son premier ratage, aussi. J'ai personnellement, toujours ador ce disque certes foutraque mais sincère. Dylan en avait marre, de son statut de Prophète folk, et il voulait casser le mythe. Nashville Skyline (1969) a aidé, Self Portrait a fait le reste. Mais les fans n'ont pas suivi. J'ai envie de dire 'les cons', mais je me retiens, car, dans un sens, ce double album est bizarre. Mais le voici, morceau par morceau :

All The Tired Horses : J'adore ce morceau, mais il faut dire qu'il est spécial. Ce n'est pas un instrumental, mais Dylan, pourtant, n'y chante pas. On y entend, sur un lit musical très beau (et lyrique, reposant), des choristes féminins chanter, en répétition, All the tired horses in the sun, how I supposed to get riding one ?, ad libitum. On critiquera ce morceau, accusant Dylan de fainéantise, et dans un sens, c'est vrai. Mais n'empêche, fainéantise ou pas, foutage de gueule ou pas, c'est quand même très joli. 

Alberta #1 : Première vraie chanson de l'album, Alberta #1, qui sera plus ou moins reprise en final, est une chansonnette pas mal, un peu mineure c'est vrai (rien dans cette chanson n'est apte à en faire un trésor comme le sont Like A Rolling Stone ou Maggie's Farm), mais quand même plutôt sympathique. On a ici la voix classique de Dylan, son chant et son phrasé habituels. Mais ça ne va pas durer !!! 

I Forgot More Than You'll Ever Know : Oh, la vache. La vache, la vachette, le veau, le taureau, le bison, ce que vous voulez. Pourquoi un début de paragraphe aussi débile ? Pour essayer de dire ce que je pense de ce morceau. Et je n'en pense pas du bien, oh que non ! Dylan chante, sur ce titre qui est une reprise, d'une voix de crooner insupportable, roucoulant comme le pire des Johnny Mathis (vous ne savez pas qui c'est ? Tant mieux !). En plus, les arrangements font vraiment soupe commerciale 50's/60's pour ménagères avec n grand lot de mouchoirs à portée de main... Non, entre cette mélodie et sa voix, c'est insupportable ici !

Days Of 49 : La plus longue de l'album avec presque 5,30 minutes. Et assurément le sommet de Self Portrait, carrément. Ca tombe bien, car Days Of 49 tombe juste après la pire chanson de l'album, ça fait donc un contrepied parfait ! Sans aller jusqu'à tutoyer le Très-Haut ici, on peut dire que Dylan, qui n'utilise pas sa voix crooner découverte avec Nashville Skyline et usée à outrance ici, chante avec autant d'efficacité que d'ordinaire, et les paroles (c'est une des chansons qu'il a écrites pour l'album) sont très très bonnes. La chanson est une de mes préférées de Dylan à défaut d'être une de ses plus connues. Elle a le malheur de se trouver sur un disque mal aimé et oublié...

Early Mornin' Rain : Et vlan !, passe-moi l'éponge. Redescente. Pas une mauvaise chanson en soi, ce Early Mornin' Rain, mais après une réussite aussi marquante que Days Of 49, forcément, ça coince un peu. Une petite ritournelle paisible, campagnarde, gentillette, voix de crooner moins insupportable que pour les autres titres de l'album que Dylan chante ainsi, mais tout de même, c'est pas son style... Ici, c'est 3,30 minutes très mineures.

In Search For Little Sadie : 2,25 minutes achevant la face A sur une note plutôt sympathique. Ce morceau, qui sera suivi d'une reprise en début de face B, est plutôt correcte, les paroles ne sont pas ce que le Barde a fait de mieux, mais ça se laisse écouter avec plaisir et intérêt. Oui, c'est franchement pas mal du tout, ce In Search Of Little Sadie !

Let It Be Me : Reprise d'une chanson française écrite par Pierre Delanoë et Glbert Bécaud, Let It Be Me est une chanson crooner, encore une (et il y en aura d'autres sur l'album !), qui ouvrait la face B. Ce n'est pas spécialement mauvais (ce n'est pas grandiose non plus), mais c'est vrai que ce n'est pas ce genre de chant, à la Sinatra/Johnny Mathis (vous ne savez toujours pas qui c'est ? Bien, excellent, même !), qui va le mieux à Dylan, même si ce n'est pas, ici, aussi catastrophique que sur I Forgot More Than You'll Ever Know, je vous rassure (ou vais vous décevoir si vous êtes sadique ou maso). Bref, bizarre.

Little Sadie : 1,58 minute (morceau le plus court) et reprise du In Search Of Little Sadie qui achevait la première face. C'est plus épuré et sobre, plus enlevé aussi que la première version, et tout aussi correct. Pas grand chose à dire au sujet de Little Sadie, sinon : mineur, mais sympathique comme tout.

Woogie Boogie : Un instrumental de deux minutes, que personnellement j'adore. Un drive de piano boogie totalement irrésistible. Après, en effet, c'est tout sauf du Dylan, ça fait plus musique de film se passant dans les années 30 qu'autre chose, c'est court, instrumental, redondant, mineur...Je sais, Woogie Boogie est mineur, moyen...Mais, bon, j'y peux rien, j'adore ce petit morceau !!

Belle Isle : Un de mes morceaux préférés de l'album, sans aucun doute grâce à son titre qui m'a toujours fait penser à Belle-Île-En-Mer (aucune chance que Dylan pensait à ce superbe coin touristique breton en écrivant cette chanson dont la mélodie est totalement pompée sur une de ses anciennes chansons, My Back Pages). Bien que ça soit pompé sur une de ses anciennes chansons, Belle Isle est quand même excellente, un peu mineure, oui, mais franchement jolie comme tout. A écouter.

Living The Blues : 2,40 minutes en Enfer... Ecrite par Dylan, cette chanson est, malgré son titre tout sauf bluesy. Voix de crooner à transformer Grégoire en bon chanteur, paroles stupides remplies de clichés, choeurs féminins également remplis de clichés sur les choeurs... C'est une des pires chiures jamais pondues par le Zimm', et croyez-moi, par la suite il en pondra un grand paquet, de chiures ! Je n'ai pas parlé de la mélodie, mais mieux vaut que je m'abstienne...

Like A Rolling Stone : On connaît tous la chanson, datant de 1965 et de l'album Highway 61 Revisited, ce chef d'oeuvre. Ici, c'est une version live, datant de 1969 ou 1970, enregistrée à l'île de Wight pendant le Festival rock bien connu. Que dire ? La chanson est remarquable, cette version live est très correcte, mais n'arrive pas au niveau de la version studio. Deuxième chanson la plus longue de Self Portrait avec 5,15 minutes au compteur, elle n'est pas mauvaise, loin de là, mais elle n'a rien à foutre ici. Elle achevait le premier des deux disques de ce double album, par ailleurs.

Copper Kettle (The Pale Moonlight) : Sorti en single (en face B de Wigwam, un single étonnant quand on sait ce qu'est Wigwam !), cette chanson, reprise d'un certain A.F. Beddoe, ouvrait la face C, et, donc, le deuxième disque de Self Portrait. Dans l'ensemble, pas trop mal, malgré une mélodie un peu trop sirupeuse, dégoulinante dans ses arrangements de cordes. Mais Dylan chante plutôt bien ici, sa voix de crooner n'est pas trop énervante, ça peut passer. Oui, mineur, mais correct !

Gotta Travel On : Autre reprise (si on excepte un titre, toute la face C est constituée de reprises), et si Copper Kettle (The Pale Moonlight) était correct, Gotta Travel On est lui, très réussi. Oui. C'est simpliste, mais vraiment efficace, entraînant, pas trop long (3 minutes), et on en redemanderait presque. Dans l'ensemble, comme quasiment toutes les bonnes chansons de l'album, c'est un peu mineur, secondaire (seule Days Of 49 et une autre chanson s'imposent vraiment), mais quand même très très bon.

Blue Moon : Une reprise de la fameuse chanson immortalisée par Elvis Presley dès 1954. Inutile de dire que le King la chante mieux que le Zimm'. En même temps je n'ai jamais aimé cette chanson, une mélasse dégoulinante, chanson pas insipide, mais mièvre comme un cul de peluche rose, et qui, ici, est agrémentée de deux choses quui me font hurler à la mort et donner envie de zapper et de passer directement au morceau n°16 (le suivant) : la voix de crooner de Dylan (Bluuuuuuuuue mûûûûûûnnnn...) et un violon tzigane du plus mauvais effet dans le final. Horrible.

The Boxer : Autre reprise, mais de Simon & Garfunkel, écrite par Paul Simon (et datant de la même année que Self Portrait, présente sur l'album Bridge Over Troubled Water, le dernier du duo, 1970). Il me semble d'ailleurs que Dylan la chante en duo avec Paul Simon, cette reprise de ce The Boxer magistral, une de mes chansons de chevet. Enfin de chevet, dans sa version Simon & Garfunkel, car cette reprise, en plus d'être trop courte (2,45 minutes, soit un peu plus de la moitié de la durée de la chanson initiale), est largement moins efficace et belle. Elle l'est quand même, jolie, car la mélodie et les paroles restent, mais l'interprétation de Simon & Garfunkel est supérieure à celle de Simon & Dylan !

The Mighty Quinn (Quinn, The Eskimo) : La voilà, l'autre chanson de l'album qui s'impose, avec Days Of 49, comme étant une réussite totale ! Unique chanson de la face C à être écrite par Dylan, elle a été enregistrée, je crois, avec le Band au complet (de toute façon, dans le livret, on trouve une liste assez longue de crédits, et s'il s'agit des musiciens ayant travaillé avec Dylan sur le disque, car cen 'est pas précisé, on y trouve de toute façon les noms des cinq membres du Band, ainsi que le nom d'Al Kooper, Kenneth Buttrey, Peter Drake...). Malgré son titre ridicule, The Mighty Quinn (Quinn, The Eskimo) est une totale réussite folk-rock. Soyons clairs : si au moins une moitié des chansons de l'album avait été du niveau de celle-là, Self Portrait serait un des meilleurs opus dylaniens.

Take Me As I Am (Or Let Me Go) : Fin de la face C avec une romance de crooner à la I Forgot More Than You'll Ever Know ou Living The Blues, autrement dit...Oui, vous avez compris, c'est insoutenable de crétinerie roucoulante, avec mélodie dégoulinante et choeurs pleins de stéréotypes. Reprise 'un morceau de Boudleaux Bryant, un parolier/compositeur qui, avec sa femme Felice, a composé plein de ritournelles pour ménagères, notamment pour les Everly Brothers. Là c'est franchement indigne du Barde, pourquoi a-t-il repris ça ?

Take A Message To Mary : La face C se finissait sur une chanson de Boudleaux Bryant, insoutenable, et la face D s'ouvrait sur Take A Message To Mary, également une chanson de Bryant (faite avec sa femme Felice), et également insupportable dans le genre, et totalement en inédéquation avec le style dylanien habituel. Pour vous dire, les Compagnons De La Chanson la reprendront en français, cette chanson, ici mal reprise (pléonasme) par Dylan ! Bref, nul.

It Hurts Me Too : ah, retour à un style plus habituel et c'est, aussin nettement mieux (la face D est plutôt correcte, je dois dire). Ecrite par Dylan, comme le reste de la face D, It Hurts Me Too est une chanson un peu secondaire, mais quand même pas mal du tout, comme les deux Alberta ou le diptyque de Little Sadie. Ca ne révolutionne pas le folk, mais c'est sympathique comme tout.

Minstrel Boy : Nettement meilleur est ce Minstrel Boy probablement fait avec le Band (ça s'entend), probablement même une des meilleures chansons de l'autoportrait au final. 3,30 minutes quasiment remarquables, musicalement c'est une réussite quasiment totale, l'interprétation est très bonne... Vraiment, un très bon morceau, qui redonne un peu espoir en cette fin d'album !

She Belongs To Me : Autre morceau enregistré live à l'île de Wight pendant le fameux Festival. She Belongs To Me est une chanson bien connue, évidemment, présente à la base sur l'album Bringing It All Back Home de 1965, et cette version live, pour correcte qu'elle est, n'apporte rien de plus par rapport à la version studio initiale. Bref, je vois mal ce que cette version live vient foutre ici, comme c'est le cas aussi pour la version live de Like A Rolling Stone !

Wigwam : Deuxième et dernier instrumental de l'album, Wigwam contient des vocalises de Dylan (lalalalala...lalalalalalala...lalalalalala...lalalalalala...) sur une musique on ne peut plus pompeuse à base de cuivres. Si j'adore Woogie Boogie, je ne pense pas vraiment la même chose de ce titre qu sortira en single (avec Copper Kettle (The Pale Moonlight) en face B), et qui est assez redondant et franchement pompeux, lourdingue. Et, oui, mineur.

Alberta #2 : Par rapport à Alberta #1, rien de neuf sous le soleil. Ce n'est qu'une reprise, une deuxième version, de la chanson présente en début du premier disque. Bref, c'est du même niveau, donc, pas mal, sans être exceptionnel !

Pour finir, Self Portrait, dont la pochette est un autoportrait peint de Dylan (il chante mieux qu'il ne peint, pas vrai ?), est donc un disque étonnant et étrange, à moitié composé de reprises. Dylan, parfois, y utilise une voix de crooner type Johnny Mathis (définitivement, vous ne savez pas qui c'est ? Ne-chan-gez-rien !) assez choquante (pas son style, un peu comme si Miossec reprenait Caruso), et le moins que l'on puisse dire, c'est que le disque contient quelques chansons moyennes ou médiocres. Mais je ne peux cependant m'empêcher d'adorer ce disque, parce que, malgré sa durée éprouvante et le fait qu'il soit inégal il contient quand même de très bonnes chansons et est très écoutable. Un peu de l'easy-listening, ça rentre dans une oreille ça ressort par l'autre, ça permet de passer 74 minutes assez sympathiques, en musique de fond. Pas grandiose, mais pas le ratage assuré et que tout le monde dit etre à son sujet. Bref, un peu sous-estimé, cet autoportrait.