42399404_p

Attention, malaise à prévoir. Pour ce 46ème volet des Track-by-track, un album assez particulier, le quatrième disque studio de The Cure, et dernier volet de leur trilogie glacée (débutée par Seventeen Seconds et poursuivie ensuite par Faith), j'ai nommé Pornography, de 1982, mon année de naissance. Egalement premier volet d'une autre trilogie, poursuivie par Disintegration et finie par Bloodflowers, Pornography est, en 43 minutes et 8 titres, et sous sa sanguinaire pochette rouge, un disque violent, morbide, glauque, atrocement triste, un disque grandiose, sublime, mais à ne pas écouter si on est mal dans sa peau. D'ailleurs, au moment d'enregistrer ce disque, Robert Smith (chant, guitare, claviers, violon, compositions), piégé par la came et l'alcool, est en mauvaise posture. Il dit aujourd'hui ne plus se souvenir de l'enregistrement de ce disque, et ne pas vouloir se souvenir, car ça ne doit pas être joli-joli. Allez, on commence ? :

One Hundred Years : Autant le dire tout de suite : un album commençant par une intro aussi apocalyptique (batterie qui fait mal, tribale, et riff de guitare assassin), avec une première phrase aussi violente que It doesn't matter if we all die ('peu importe si nous mourons tous'), ça augure de bien des tourments. Avec presque 7 minutes, One Hundred Years est la plus longue chanson de l'album, et une des meilleures (mais il n'y à aucune mauvaise chanson sur le disque, qu'on se le dise). Elle fait peur, cette chanson, avec la voix plaintive, déglinguée, tourmentée de Robert Smith, avec cette batterie violente (Laurence 'Lol' Tholhurst n'est pas un très bon batteur, mais il frappe fort), cette basse tétanisante de Simon Gallup, et surtout, surtout, ce son de guitare, étrange, malsain, putride même, et terriblement angoissant et violent, que l'on entend tout du long du disque. Un sommet.

A Short Term Effect : Sans doute ma chanson préférée de l'album, rien que pour son intro, qui est franchement immense. La chanson est instantanément retenable, elle n'a pas été utilisée en single, mais aurait largement pu l'être ; elle en a les avantages : durée idéale (4 minutes), refrain facile à retenir, sens du rythme, et elle est aussi, curieusement, moins violente que les 7 autres titres, tout en étant tout sauf pop et gentillette. A Short Term Effect laisse un gros effet à long terme, contrairement à son titre qui dit tout le contraire !

The Hanging Garden : Batterie tribale, vive, et basse virevoltante. Cette chanson, sortie en single, est une tuerie de plus pour Pornography. Paroles malsaines (Fall, fall, fall, fall, into the wall/Jump, jump out of time/Fall, fall, fall, fall, out of the sky/Cover my face as the animals die/In the hanging garden), voix terrible de Smith, et toujours ce son de guitare, terrifiant, violent, à part. Je me répête, je sais, mais ce morceau est un sommet, un de plus, d'un album qui ne contient que ça.

Siamese Twins : Frisson absolu, durant 5,30 minutes. Fin de la face A avec Siamese Twins, chanson qui, aujourd'hui encore, me fait frissonner et pleurer. Comment définir cette chanson, qui arrive à être aussi émouvante (déchirante, même) que violemment malsaine et flippante ? La voix de Smith est belle à en chialer, elle parvient à émouvoir et à rendre mal à l'aise, en même temps. La guitare, plus calme ici, mais toujours aussi oppressante, est parfaite. La rythmique est lente, morbide. Les paroles, n'en parlons même pas. The Cure, ici, réussit le pari de faire une complainte à la fois triste et glauque. On pleure et on tremble. Leave me to die, you won't remember my voice ou Girl at the window looked at me for an hour, deux phrases qui, entre autres phrases issues des paroles, foutent le frisson et le cafard.

The Figurehead : Basse agressive, batterie thermonucléaire également violente, cette intro de la face B est juste puissante. The Figurehead ('la figure de proue') est une des plus cataclysmiques chansons de Pornography, un tourbillon de peur musicale (même si, quelques chansons plus loin, ça ira encore plus fort dans le trip 'terreur'), porté par une voix tétanisante et un son de guitare inoubliable. Et ces paroles... Insurpassable et limite insoutenable de morbidité.

A Strange Day : Intro cultissime et d'une noirceur et lourdeur rarement égalées, paroles qui vont loin dans le cryptique et l'imagerie glauque (je ne sais pas pourquoi, mais ce Blind man kissing my hands - 'aveugle embrassant mes mains' - m'a toujours mis mal à l'aise). Cette chanson, qui sortira en single - du moins, je crois - est la seule que le producteur du groupe disait aimer sur l'album. Album qui, disons-le ici, sera critiqué pour sa noirceur, et ne marchera pas fort, du moins à l'époque (son titre provocateur n'y est pas étranger non plus). La chanson est assez sombre, mais les deux suivantes, et dernières, la rendent franchement très gentillette, après coup ! Encore une fois, c'est immense, on l'aura pigé.

Cold : Le froid s'installe, lentement, mais profondément, avec cette chanson au titre, donc, plus qu'éloquent. Cold est, selon moi, la plus sombre et flippante de l'album, une chanson tétanisante rythmée par une batterie tuante et des synthés funèbres. On se croirait à un enterrement ! Sans parler du violon (de l'alto) en intro, qui est glauque aussi, et des paroles, en soi pas très folichonnes...Your name like ice into my eyes... Avec Cold, on franchit un palier dans l'horreur. La chanson suivante, et finale, est très sombre aussi, mais pour moi, Cold l'est encore plus.

Pornography : 6 minutes et une vingtaine de secondes terrifiantes, avec batterie distante, puis se rapprochant, imposant en même temps une rythmique très agressive...claviers glauques... la voix de Smith, au bord de l'hystérie, à moitié déformée par un écho... des voix bizarres en intro et en final...une conclusion qui n'en est pas une, le morceau s'achevant brutalement, sèchement, de quoi vous retourner lors de la première écoute (et continuer, après plusieurs écoutes, de vous mettre mal à l'aise)...et ces paroles : One more day like today and I'll kill you... Oh, mon Dieu... Allez, on notera quand même, pour mettre un peu d'espoir, une phrase ultime qui répond totalement à celle qui ouvrait One Hundred Years : I must fight this sickness, find a cure ('je dois guérir de ce mal, trouver un remède'). Histoire de finir sur une note un petit peu positive. Ou alors, est-ce parce que The Cure était au bord de l'implosion, et que Robert Smith voulait à tout prix trouver un autre Cure ? Sinon, morceau glauque et immense. 

Le groupe se séparera peu après ce disque phénoménal et dur (le bassiste, Simon Gallup, se battra avec Smith, il ne reviendra que plus tard), et ne reviendra quasiment jamais plus à un tel niveau (sauf en 1989 avec Disintegration, mais Pornography lui est supérieur quand même). Un disque, on l'a vu, totalement réussi, grandiose, à écouter avec des pincettes, mais à écouter absolument. Une expérience à vivre !