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Sorti en 1971, quelques mois avant la mort de Jim Morrison, L.A. Woman est le sixième album studio des Doors et, donc, le dernier avec leur Roi Lézard de chanteur fou. C'est aussi le meilleur album du groupe, et leur plus long (48 minutes). C'est, selon moi, celui qui méritait le plus l'honneur d'être abordé en Track-by-track (je pense que The Soft Parade de 1969 sera ausi abordé dans la rubrique par la suite), et qu'attendons-nous donc pour commencer ?

The Changeling : Un changeling, dans l'univers fantastique, c'est une créature à l'apparence humaine qui, à la naissance d'un enfant, le remplace. C'est un faux bébé apporté par des fées pour le remplacer dans la vie, tandis que les fées, elles, prennent le vrai enfant humain avec elles. Mais The Changeling, chanson ouvrant admirablement l'album, ne parle pas de cela, les Doors n'étant pas habitués à aborder des sujets pareils dans leurs chansons ! C'était juste, donc, pour l'anecdote que je parlais de ça. Sinon, la chanson parle quand même d'un changement radical, celui de Morrison, qui devient plus 'sérieux' ici et se prend, le plus souvent, pour un vrai bluesman sur L.A. Woman. La chanson est efficace, jouissive, les hurlements de Jim sont tétanisants (You gotta se me chaaaaaaaaange !). Une des meilleures chansons du groupe.

Love Her Madly : Chanson apaisante, apaisée, douce, sur une histoire d'amour pas banale, celle d'un homme dans la force de l'âge (dans les 50/60 ans) pour une jeune fille tout juste majeure (du moins, on l'espère) assez espiègle. La chanson est une pure petite merveille, plus complexe qu'il n'y paraît. La chanson sortira en single (la face B sera une des rarissimes chansons du groupe à ne pas avoir été placées sur album : (You Need Meat) Don't Go No Further) et a été écrite par Robbie Krieger, guitariste du groupe. Vraiment une belle chanson.

Been Down So Long : Un blues-rock à la Derek & The Dominoes, chanson incroyable bénéficiant d'un jeu de guitare incroyable de Krieger. Les deux musiciens participant, en guests, sur tout le disque, Marc Benno (guitare rythmique) et Jerry Scheff (basse), sont particulièrement efficaces ici. En revanche, aucune trace du claviériste Ray Manzarek (qui, sur les précédents albums, jouait aussi de la basse, quand cet instrument n'était pas tenu par un guest du style Doug Lubahn) sur cette chanson, probablement la seule du groupe dans laquelle il ne joue pas une seule note. Pas mon préféré de l'album, mais Been Down So Long est un grand blues-rock.

Cars Hiss By My Window : Un autre blues, ce Cars Hiss By My Window, mais un vrai blues, celui-là, plus lent et sombre. Histoire d'un couple se déchirant dans une chambre d'hôtel, cette chanson est magnifiquement interpréte par un Morrison qui semble avoir mis de côté les aspects les plus sombres de son caractère, et est devenu plus mature. Mis à part les vocalises finales à la Howlin' Wolf, évidemment... Un grand titre de plus pour un album qui, rien qu'avec ces quatre premières chansons, est déjà le meilleur des Portes depuis longtemps.

L.A. Woman : Plus de 7 minutes (presque 8 minutes, en fait) de magnificence. Une chanson-fleuve admirable, une des meilleures du groupe, et une ode imparable à Los Angeles (by night). Le timbre de voix de Morrison, sur tout le disque, mais surtout sur The Changeling et L.A. Woman, est particulier : vu les dérives alcooliques et camées de Morrison, sa voix en a pris un sérieux coup ! Ca en rajoute un peu à l'aspect bluesy et sombre de l'album. A noter, dans le milieu du morceau, un passage assez connu et culte, dans lequel Morrison improvise (ou semble improviser) sur un certain Mr Mojo Risin', anagramme de son nom, évidemment... En tant que final de la face A, cette chanson est admirable. Pas ma préférée de l'album (un peu trop longue ?), mais on serait bête de l'ignorer.

L'America : La face B s'ouvrait sur L'America, chanson que les Portes avaient composé, en 1970, pour le film Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni, à la demande du réalisateur italien qui leur avait demandé une chanson pour le film. Au final, Antonioni, pour X raison, refusera la chanson. Les Doors l'ont utilisée, et ils ont eu raison, pour ouvrir la face B de L.A. Woman. Une chanson assez sombre (l'intro est lourde, prenante), assez martiale aussi, et en tous points magnifique. Une de mes préférées de l'album, une de celles qui a le plus l'ambiance des premiers albums (Strange Days, surtout) et aurait très bien pu s'y trouver.

Hyacinth House : Un autre de mes chouchous de L.A. Woman, ce Hyacinth House, chanson assez sombre et lente, mélancolique mais sans violence (contrairement à pas mal des chansons anciennes du groupe, qui étaient sombres et teintées de violence latente), chanson sans artifices sur le destin. Morrison y chante d'une voix comme apaisée, le final, agrémenté d'une belle partition d'orgue de Manzarek, est de toute beauté, ainsi que les arpèges de guitare. Un des meilleurs de l'album.

Crawling King Snake : Un très bon blues-rock, mais Crawling King Snake, en fait, n'a jamais été une de mes chansons préférées de l'album ; loin de là, même, c'est en fait la chanson qui me plaît le moins ici. Pourquoi ? A cause de sa trop grosse ressemblance avec le Back Door Man du premier album. Les deux chansons sont des reprises (Crawling King Snake est une reprise de John Lee Hooker, Back Door Man, du plus ancien Willie Dixon). A la base, les deux morceaux sont très ressemblants. On peut se demander l'intérêt de reprendre un titre faisant immanquablement penser à une autre chanson que le groupe, bien des années plus tôt, avait aussi reprise ? Sinon, elle est très bien interprétée, de ce côté-ci, pas de problème.

The W.A.S.P. (Texas Radio & The Big Beat) : Un spoken-word poétique (la poésie de Jim Morrison était, comment dire...particulière), rempli de symboles, d'allusions, et, au final, un des meilleurs moments de L.A. Woman, du moins pour moi. La rythmique est ahurissante, remarquable, et le morceau, assez ancien (sous une autre forme, les Doors l'interprétaient déjà sur scène depuis, au moins, 1968, il me semble : j'ai en ma possession un DVD du groupe proposant des extraits live et passages TV de 1967/1969, et parmi eux, coincé entre, notamment, The Unknown Soldier et Tell All The People, se trouve The W.A.S.P.), est un des meilleurs moments poétiques (si on peut dire) du groupe.

Riders On The Storm : Dernière chanson du dernier opus des Portes avec Jim (le groupe, après la mort de Jim, fera encore Other Voices et Full Circle, deux disques un peu inégaux mais surtout très sous-estimés et méconnus, avant de se retirer), Riders On The Storm, 7 minutes terminales et incroyables, est aussi la dernière chanson enregistrée par Morrison, qui n'en achèvera pas totalement le mixage voix. Il se barrera en France, et n'en reviendra pas, même pas à l'état de corps, car, tout le monde le sait, il est enterré au Père-Lachaize. Blues final incroyable, d'une noirceur absolue, baigné par un son d'orage, la chanson est une des plus mythiques de la légende doorsienne, et sans aucun doute la meilleure du groupe. En 1979, le Follow Me Home de Dire Straits en sera une reprise déguisée.

Voilà, pour finir, ce qu'est L.A. Woman : le meilleur album des Doors, un album sans aucune mauvaise chanson, ce qui, malgré la réussite des précédents opus, n'est pas leur cas justement. A noter que la pochette, dans son édition vinyle initiale, était particulière : la photo de pochette était imprimée sur une feuille plastifiée qui était collée sur le centre de la pochette (lequel était, sinon, creux), et ça permettait de voir, au travers, la sous-pochette, jaune (et sur laquelle une gravure de femme crucifiée à un pylône se trouve) ! En résumé, un grand disque !