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Je ne suis qu'une de ces milliards de bouches, ouvertes à en crever !

Ce disque, il paraît que Jacques Higelin n'en voulait pas, au début. C'est pas qu'il ne voulait pas l'enregistrer, mais une fois l'enregistrement achevé, il aurait pété une durite en studio (au Château d'Hérouville), gueulant qu'il trouvait le résultat à chier, qu'il n'aimait pas les chansons, qu'il avait raté le truc, qu'il ne voulait pas que ça sorte. L'ingénieur du son sur le projet, Laurent Thibault (qui était quasiment az'barak au Château d'Hérouville) l'aurait écouté, puis, une fois le Jacquot calmé (ce qui a dû prendre un certain temps, sinon un temps certain), lui aurait dit ça y est, t'es calmé ? Bon, alors écoute. Ce disque, tu vas le sortir, et il va cartonner, et je peux te garantir que c'est sans doute ton meilleur album, sinon un très grand album, ce que tu en penses maintenant, oublie, cet album doit sortir. Enfin, pas textuellement, hein, j'étais pas là (né quatre ans après la sortie de ce disque, vous m'excuserez donc), mais si les mots ne sont pas ceux qui furent prononcés, le sens, lui, y est. Higelin voulait détruire les masters. Laurent Thibault et le guitariste Pierre Chérèze, qui joue sur le disque, l'auraient donc empêché. Higelin, par la suite, bien des années après, dire de ce disque que c'est devenu son préféré, mais qu'il en avait fait un rejet, à l'époque, il ne se sentait pas bien, et n'aimait plus les chansons, qui ne cadraient plus avec lui. Heureusement qu'il n'avait pas le contrôle total de son oeuvre, comme c'est le cas de Manset, et qu'il a changé d'avis, sinon No Man's Land aurait peut-être, un jour, disparu corps et biens ! Ce disque est sorti en avril 1978 (enregistré en automne 1977) et est un des très grands opus d'Higelin. Il fait suite à Alertez Les Bébés ! (1976), qui fut un grand succès critique et commercial et est indéniablement le sommet du chanteur. Mais No Man's Land vient juste derrière, tant chronologiquement que qualitativement. 

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Alertez Les Bébés ! est un disque important pour Higelin : après une première période (sur le label Saravah, assez, disons, propice à l'expérimental) assez folk et étrange où il a cotoyé Brigitte Fontaine et son mari Areski, Higelin, en 1974, a viré rock pur et dur avec BBH 75, puis Irradié l'année suivante. Mais en 1976, il a trouvé son style, ternaire, un peu à la Tom Waits mâtiné de Charles Trénet. No Man's Land est une sorte de croisement entre Irradié et Alertez Les Bébés !, on y trouve du rock pur et dur (Denise, morceau le plus court ici, un rock bas du front, volontairement con, Banlieue Boogie Blues est bien servi niveau guitares), des ballades (L...Comme Beauté, Un Aviateur Dans L'Ascenseur), des chansons assez branques dans leurs mélodies, assez étonnantes, higelinesques quoi (Lettre A La P'tite Amie De L'Ennemi Public N°1),un délire techno-synth-rock (Les Robots) qui semble sous influence Kraftwerk/Iggy Pop (Iggy qui, enregistrait The Idiot à Hérouville en même temps qu'Higelin y faisait son précédent album), un morceau-fleuve et de choix en guise de conclusion : L'Amour Sans Savoir  Ce Que C'Est, 10 minutes qui démarrent par Higelin au piano, se poursuit en crescendo rock, s'achève en chorale d'enfants (de l'école de Bondy) répétant le titre du morceau sur un fond musical sublimissime, le tout avec des paroles sauvages et sensationnelles. C'est du grand Higelin. A noter que sur le vinyle, sur le verso de pochette (photo d'un Higelin torse-nu, courant dans la neige, en pleine nuit), le morceau est crédité De Nulle Part Ou D'Ailleurs (No Man's Land), mais est crédité à son titre définitif sur le label de face, ainsi que sur les rééditions CD. 

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Et il y à un morceau dont je n'ai pas encore parlé, c'est Pars. Ce morceau, qui sera un tube à l'époque (sans doute le premier vrai tube d'Higelin), et sur lequel on entend rapidement la voix de Kuelan, sa femme d'alors (et mère de son fils Kên), la China Girl de la chanson d'Iggy/Bowie (véridique), est une merveille qui annonce le futur d'Higelin. Une ballade lacrymale sur un sujet délicat, la séparation d'un couple avec enfant, qui en aura la garde ? Ici, clairement, le père (la chanson n'est pas autobiographique pour autant, du moins, Higelin et sa femme resteront encore mariés quelques années après cette chanson). Accordéon sublime, synthés discrets mais tissant de douces nappes sonores, mélodie chaloupée, chant habité (Paaaaars ! Surtout ne te retouuuurne paaaas !), cette chanson est une merveille, un chef d'oeuvre de la chanson française. Le seul reproche à faire à l'album, c'est de la faire suivre par Denise, morceau le plus rock, le plus brut, le moins réussi aussi (et de très loin...) de l'album, un morceau qui aurait eu sa place sur BBH 75 (il en aurait été le morceau le moins réussi, mais musicalement, aurait été plus à sa place, vraiment) qu'ici. Mais l'album est, sinon, globalement, génial (j'adore Les Robots, sérieusement), seulement 8 titres, seulement 38 minutes, mais c'est presque (Denise...) parfait. Comment ne pas penser à Banlieue Boogie Blues (qui, sur le génial triple live A Mogador de 1981, durera 12 minutes de folie) ? A ce L...Comme Beauté irré...L de beauté, justement ? C'est un très, très grand album. Pas que d'Higelin, en général. 

 FACE A

Banlieue Boogie Blues

Pars

Denise

Un Aviateur Dans L'Ascenseur

Lettre A La P'tite Amie De L'Ennemi Public N°1

FACE B

L...Comme Beauté

Les Robots

L'Amour Sans Savoir Ce Que C'Est