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Si on prend la discographie de Nick Drake comme un ensemble indissociable (ce que, personnellement, j'ai toujours fait, vu le peu d'albums, seulement trois), on se rend compte d'un truc marrant : entre le premier et le deuxième album, Drake progresse, étoffe sa musique...et entre le deuxième et le troisième et dernier album, il fait régresser sa musique. Ce n'est pas péjoratif, hein, pas un reproche, mais c'est ainsi. Bon, pour le troisième album, prière d'attendre dans deux jours. Pour le deuxième, c'est ici, c'est le bon étage. Le toujours difficile à faire deuxième album. Faire mieux que le premier, ce qui, des fois, est difficile, très. Pour le cas de Nick Drake, vu la qualité monumentale de Five Leaves Left (1969), faire mieux avec le deuxième album semblait mission impossible. Et si on reste le plus objectif possible, ce qui, me concernant et concernant l'oeuvre de Drake est difficile, alors force est de constater que ce deuxième album, baptisé Bryter Layter (manière quelque peu barbarisée de dire 'brighter later', "plus clair plus tard"), n'est pas aussi monumental que le précédent. Ni que le suivant, en fait. Bah oui, c'est ainsi, ce maillon central de la discographie drakienne est le moins grandiose, mais attendez, attendez, n'allez pas croire qu'il n'est pas bon, ce deuxième album sorti en 1971. Ca serait faire une connerie aussi grande que l'Everest. Bryter Layter, sorti donc en mars 1971, enregistré courant 1970 (je ne sais pas si Nick Drake a mis autant de temps à faire ce disque que le précédent, qui fut fait en 11 petits mois...), est une réussite. 

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La pochette, avec ce mauve et cette double bordure rouge et orange reliée au titre et au nom, est assez représentative de ce qu'était Drake, un jeune homme maladivement timide, à la limite de l'autisme. Regardez-le assis, preque recroquevillé, presque caché derrière sa guitare, visage fermé et craintif, du genre bon, je vais jouer, j'espère que personne n'est là pour m'écouter sinon ça va me bloquer. Au verso, avec le même code graphique, une photo nocturne de Drake posté, adossé à un garde-fou sur une route citadine éclairée, regardant les véhicules passer. Long de 39 minutes, produit par Joe Boyd le catalyseur, Bryter Layter sera un aussi grand succès commercial que le précédent opus, autrement dit...il ne se vendra pas des masses. C'est le drame de la vie de Drake : ses albums ne se vendaient pas, tout le monde ou presque (les critiques étaient bonnes) se foutait de lui de son vivant, il faudra attendre sa mort, en 1974, pour que soudain, on se rappelle de lui et qu'on porte, lentement mais sûrement, ses albums aux nues. Trop tard pour lui, qui était pour le moins amer, désabusé et dépressif pendant l'enregistrement de son dernier album. Il ne l'était peut-être pas pendant l'enregistrement de cet album, qui fut fait en partie avec les musiciens de Fairport Convention (Pegg, Mattacks, Thompson) et, sur deux titres (Fly, Northern Sky), avec John Cale à la viola  et aux claviers. Je pense même qu'il était plutôt motivé, son idée première ayant été, selon les dires de l'arrangeur Robert Kirby, de faire sonner son album comme le Pet Sounds des Beach Boys. 

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Une chose détonne avec ce disque : il semble presque pop. Hazey Jane II (curieusement placé, sur le disque, avant Hazey Jane I, qui est, lui, dans le style de Five Leaves Left), avec ses arrangements de cuivres et son chant quelque peu vif (ça reste du Nick Drake, dont la voix est voilée, douce, mélancolique), fait très pop, malgré lui. C'est limite choquant, et quelqu'un qui découvrirait l'oeuvre de Drake par le biais de cet album n'en aurait pas une très bonne description. Poor Boy, avec ses choeurs soul (Doris Troy et Pat Arnold), At The Chime Of A City Clock (cette merveille...) avec ce saxophone alto signé Ray Warleigh, sont d'autres morceaux qui détonnent avec le reste de l'album, très mélancolique, dans le style du précédent opus (Northern Sky, sans doute la plus belle chanson de Drake ; One Of These Things First ; le troublant Fly). On notera trois instrumentaux : Introduction, Bryter Layter et Sunday, qui totalisent un peu plus de 8 minutes sur les 39 de l'album. Presque comme si Nick Drake était déjà un peu sec niveau écriture (il paraît que pendant l'enregistrement du dernier album, une fois les 11 chansons écrites mises en boîte, il aurait dit à son producteur ça y est, c'est fini, j'arrête, j'ai chanté tout ce que j'ai écrit). Le niveau de songwriting des 7 morceaux chantés ici présents (et il a de toute façon signé aussi les instrumentaux de sa propre main) est cependant aussi colossal que pour le précédent opus...et le suivant. Si Bryter Layter est le moins grandiose des trois, c'est uniquement en raison de sa production qui semble le cul entre deux chaises, à mi-chemin entre le prolongement de Five Leaves Left et une tentative de faire quelque chose de plus commercial et pop, qui ne semble pas convenir à Drake (la musique sur Hazey Jane II est pop, certes, mais c'est chanté par un Nick Drake qui ne cherche pas à faire pop). Parce que je suis un peu bizarre, c'est incontestablement, des trois albums du chanteur, mon préféré, même si ce ne fut pas le cas au départ. C'est à force d'écouter le disque que sa beauté fragile et curieuse m'a sauté au pif. 

Introduction

Hazey Jane II

At The Chime Of A City Clock

One Of These Things First

Hazey Jane I

FACE B

Bryter Layter

Fly

Poor Boy

Northern Sky

Sunday