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Des envies de reparler de Nick Drake. Il serait totalement con de les essuyer d'un revers de manche, pour trois raisons : 

a) les précédentes chroniques sur lui remontent à 2013, ça date déjà pas mal

b) il n'y à que trois albums dans sa discographie, ça va vite

c) ce n'est jamais mauvais de parler de Nick Drake.

Dont acte, coincé dans un cycle sur Rush, ce qui ne s'invente pas, un cycle Nick Drake. Qui va donc aller vite, comme à chaque fois, vu que le bonhomme n'aura eu le temps de faire que trois albums avant de connement mourir de décès létal en 1974, à 26 ans (à un an près, il entrait dans un fameux et sinistre Club...), par overdose médicamenteuse qui est peut-être volontaire (suicide donc), ou peut-être accidentelle. Mais comme il respirait aussi bien la joie de vivre que Ian Curtis, on peut se poser des questions... Nick Drake. Nicholas Rodney Drake de son nom complet. Il est né à Rangoon, en Birmanie, en 1948, parce que son père y travaillait comme ingénieur. Deux ans après sa naissance, la famille retourne vivre en Perfide Albion. Enfant, Nick découvre la musique via l'apprentissage de divers instruments : clarinette, guitare, piano, saxophone. Sa famille a les moyens. Il se familiarise surtout avec la guitare, commence à écrire des chansons. En 1967, au lieu d'aller à Cambridge, il file dans le sud de la France, vers Aix-en-Provence, où il étudie six mois et joue dans les rues de la ville pour gagner de l'argent. A son retour, il s'inscrit à Cambridge, s'y ennuie, a du mal à tisser des liens. Il s'intéresse à la scène folk britannique et américaine, devient dingue de Dylan, Phil Ochs, fait la connaissance, à un concert, du bassiste de Fairport Convention, Ashley Hutchings, qui lui présente leur producteur, Joe Boyd, qui sympathise avec lui et le signe sur son label, Witchseason, appartenant à Island Records.

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Drake, entre juillet 1968 et juin 1969, oui, presque une année, enregistre, aux Sound Technique Studios de Londres, sous la houlette de Boyd qui produit, son premier album, qui sort en juillet 1969 sous une pochette d'un beau vert, photo de Drake regardant pensivement par la fenêtre d'une petite mansarde. Le titre de l'album est aussi celui de l'avertissement placé dans les paquets de feuilles de tabac à rouler, à cinq feuilles de la fin du paquet : Five Leaves Left. Au verso, Drake, photo noir & blanc, est nonchalamment adossé à un mur de briques tandis qu'un homme passe en courant au premier plan, pressé de mourir d'un ulcère sans doute, et totalement flou à cause du mouvement. L'intérieur de pochette, noir, montre une photo contrastée de Drake et les paroles de trois des chansons, ce qui ne manque pas de m'énerver : autant mettre les paroles de toutes les chansons ou ne pas en mettre du tout que seulement trois sur les dix de l'album, non ? Long de 41 minutes, Five Leaves Left est, on peut le dire, un chef d'oeuvre absolu. Tout est parfait ici : la voix de Nick Drake, déjà. De même que celle de Cat Stevens (mais avec un timbre totalement différent, évidemment), elle apaise totalement, on l'écoute, on ferme les yeux, on est bien, relax, détendu, zen. Plus zen et détendu que Drake ne l'a été de toute sa vie, handicapé du lien social, timide à s'en rendre malade, mal dans sa peau en permanence, n'ayant fait que peu de concerts (qu'il jouait le dos tourné au public)... Sa voix nous emporte dans son monde, direct, dès les premières intonations de Time Has Told Me. Je défie quiconque de trouver qu'il chante mal. Je suis sérieux.

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Ensuite, musicalement, cet album est un régal de folk à l'ancienne, parfois orchestral (des arrangements de cordes, souvent signés Robert Kirby, sont sur Way To Blue, Day Is Done, River Man, The Thoughts Of Mary Jane et Fruit Tree, la moitié de l'album donc), parfois traditionnel. Enfin, traditionnel, n'oublions pas le sublime 'Cello Song avec son violoncelle apportant une touche un peu irréelle au morceau, ou les congas de Three Hours, joués par Rocky "Dijon" Dzidzornu (aussi sur 'Cello Song d'ailleurs)...Les paroles sont tellement superbes que c'est vraiment regrettable que toutes ne soient pas proposées sur la pochette. Parmi les musiciens, Richard Thompson de Fairport Convention sur le premier titre à la guitare, Danny Thompson (aucun lien) sur plus de la moitié de l'album, à la contrebasse...Aucune chanson n'est à retirer, aucune, de Time Has Told Me à Saturday Sun en passant par le grandiose River Man et Man In A Shed. Une atmosphère mélancolique, bucolique, campagne anglaise au printemps, plane tout du long de ce disque appréciable aussi bien tôt le matin que tard le soir, en été comme en hiver, seul ou accompagné, le plus souvent (et c'est recommandé) en fond sonore, pas à pleins potards, mais pas en sourdine non plus. Ce premier album est un des meilleurs albums du genre, de l'année 1969, et un des meilleurs premiers albums qui soient. Se dire que les deux suivants sont aussi bons laisse rêveur. Une discographie parmi les plus parfaites qui soient. 

FACE A

Time Has Told Me

River Man

Three Hours

Way To Blue

Day Is Done

FACE B

'Cello Song

The Thoughts Of Mary Jane

Man In A Shed

Fruit Tree

Saturday Sun