Sorti en 1975 (en janvier), ce disque donne le ton dès sa pochette : en ces temps de rock progressif, de hard-rock couillu, de glam-rock et de jazz-rock, en ces temps de pochettes chamarrées, Dr Feelgood, petit groupe de Canvey Island (petite île de l'estuaire de la Tamise, dans le comté de l'Essex), nous offre un radical retour en arrière : pochette sobrissime en noir & blanc, lettrage des plus lambda, aucune recherche artistique, pas de pochette ouvrante, pas de sous-pochette (enfin, si, mais en papier classique et vierge), aucune couleur, nulle part, sauf sur le label... En plus, l'album est en mono (ce qui, selon certains membres du groupe, est une erreur, mais participe en fait au concept). Dr Feelgood est un groupe culte, crée en 1971, constitué à l'époque du chanteur Lee Brilleaux (de son vrai nom Lee Green Collinson, né en Afrique du Sud, et mort deux jours après Kurt Cobain, ce qui fait que sa mort est passée à l'as), également à l'harmonica ; du guitariste Wilko Johnson (John Wilkinson de son vrai nom), du bassiste John B. Sparks et du batteur The Big Figure. De gauche à droite sur la pochette (recto comme verso) : Wilko, Sparks, The Big Figure, Brilleaux. Leur look est totalement basique, pas de recherche du tout, on dirait des employés de bureau. Leur nom vient d'un terme d'argo anglophone désignant un médecin peu regardant sur ses ordonnances (genre le Dr Robert des Beatles).
Down By The Jetty, produit par Vic Maile, est donc sorti en début d'année 1975, boosté par un single immense (mais la chanson ne sera un succès que par la suite) : Roxette (accompagné sur sa face B d'une remarquable reprise de Route 66 de Bobby Troup, que le groupe ne mettra pas sur l'album parce qu'une reprise de cette chanson se trouvait déjà sur le premier album des Rolling Stones et qu'ils ne voulaient pas qu'on fasse des comparaisons inutiles). Cette chanson est une tuerie totale qui m'a réconcilié avec Dr Feelgood, groupe que j'ai découvert via leur album de 1977 Be Seeing You (Wilko Johnson, principal artisan - avec le timbre de voix revenu de tout de Brilleaux - du son du groupe, n'en faisait alors plus partie), album que j'avais détesté, et c'est toujours le cas. Par la suite, après avoir entendu cette chanson, Roxette, je ne sais plus où, j'ai adoré et je me suis payé les trois premiers albums (celui-ci, Malpractice sorti plus tard en 1975 aussi, et le live Stupidity de 1976), que j'ai adoré. Puis Sneakin' Suspicion de 1976, que j'ai trouvé très bien. Mais je me suis arrêté là, et je n'ai jamais pu réussir à apprécier Be Seeing You. Pour en revenir au premier album, c'est un disque parfait, constitué essentiellement de morceaux originaux, mais avec tout de même des reprises : Boom Boom de John Lee Hooker, Cheque Book de Legend, Bonie Moronie de Larry Williams couplé au Tequila des Champs, et Oyeh ! de Mick Green des Pirates. Ces reprises sont remarquables, mais les morceaux originaux sont des tueries.
Notamment Roxette donc, cette chanson sur un homme suspectant fortement sa petite amie de ne pas être totalement franche avec lui et lui faisant une scène : I saw you walk the other night/I saw somebody hold you tight/Roxette/I wonder who it should be/It was so dark I couldn't see, but I know it wasn't me/And when I told you it ain't right, you know you gotta agree. Basse géniale et inoubliable, guitare acérée (et jeu de scène hallucinatoire de Wilko, minimaliste, un pas en avant, un pas en arrière, un pas en avant, un pas en arrière, un coup de tête à gauche, un coup à droite, un coup à gauche, un coup à droite, le tout avec les mâchoires bloquées au speed et un regard totalement allumé)... All Through The City, She Does It Right, That Ain't The Way To Behave (que Wilko chante), Keep It Out Of Sight, The More I Give sont autant de chansons mémorables, du pub-rock d'enfer qu'on ne se lasse absolument pas d'écouter. Production minimaliste (mais ça sonne divinement bien) sans artifices, pur back to mono, aussi sobre que la pochette, mais c'est exactement ce qu'il fallait. 1975 est l'année de Wish You Were Here, Another Green World et Warrior On The Edge Of Time (trois grands disques). C'est aussi l'année de ce magistral disque de rock pur et dur, qui vieillit admirablement bien et qu'il faut à tout prix écouter !
FACE A
She Does It Right
Boom Boom
The More I Give
Roxette
One Weekend
That Ain't The Way To Behave
I Don't Mind
FACE B
Twenty Yards Behind
Keep It Out Of Sight
All Through The City
Cheque Book
Oyeh !
Bonie Maronie/Tequila