Quand The Band sort, en 1968, dans une assez relative indifférence du grand public (la presse spécialisée, en revanche, fut plutôt emballée), son premier album, Music From Big Pink, ce fut, musicalement, on s'en rendra compte par la suite, une révolution. Sous sa très moche et presque incompréhensible pochette signée de leur pote/mentor Bob Dylan (pourquoi un éléphant ? Pourquoi un pot de chambre, ou autre, sur la tête d'un des musiciens ? Pourquoi un autre musicien joue du piano le corps renversé à l'envers sur l'instrument ? Ces questions resteront sans doute éternellement sans réponse), l'album forcera l'admiration de beaucoup de musiciens (Clapton aurait fondé Blind Faith pour essayer de faire sa version du Band, le résultat final, bien que fantastique, sera très éloigné de ses intentions premières), et est, du début à la fin, une réussite totale, complète. I Shall Be Released, The Weight, Caledonia Mission (rappelons que les 4/5 du groupe est d'origine canadienne, sauf Levon Helm). Le groupe ne va pas tarder à faire, toujours avec le producteur John Simon, son deuxième album : entre fin 1968 et courant 1969, pour une sortie en septembre de la même année, sous une pochette des plus emblématiques (la plus connue de toutes les photos du groupe ; de gauche à droite, Manuel, Helm, Danko, Hudson, Robertson), une simple photo noir & blanc très sobre, sur un fond marron uniforme, et le titre, sobre aussi : The Band. On se serait attendu à ce que ce soit le premier album qui soit éponyme, mais non, c'est le deuxième.
The Band est sans doute l'album le plus connu du groupe, avec le triple live The Last Waltz. C'est aussi, du moins selon moi, et malgré la réussite totale de Music From Big Pink, leur sommet. Il suffit de regarder le tracklisting et de comparer avec un best-of du Groupe. Prenons Anthology, double album de 1978, pour l'exemple. Quatre chansons de l'album s'y trouvent, c'est l'album le plus généreusement représenté. En live aussi, il était bien représenté : la moitié au moins des 12 titres se trouve sur les albums live (un en solo, un avec Dylan, un en collectif avec plein d'invités) sortis du 'vivant' du groupe. Et quels titres : Up On Cripple Creek, Rag Mama Rag, King Harvest (Has Surely Come) (cette chanson, qui achève le disque, est un chef d'oeuvre méconnu), When You Awake, et cette splendeur totale interprétée par un Levon Helm touchant comme jamais, The Night They Drove Old Dixie Down. La chanson parle de la fin de la guerre de Sécession, vue par un habitant du Sud des USA (originaire du camp des perdants, donc). Levon Helm était originaire de l'Arkansas. Si la meilleure interprétation de cette chanson, pour moi, est sur The Last Waltz, la version studio, qui marchera bien (surtout dans sa reprise par Joan Baez en 1971), est déjà sublime.
Tout l'album, qui possède cette même atmosphère de ruralité, pré-americana, que le premier opus, est sublime, de toute façon, même les morceaux moins connus, comme Jawbone, Look Out Cleveland ou The Unfaithful Servant (interprétée par le bassiste Rick Danko, cette chanson est aussi triste que belle), sans oublier Jemima Surrender dont les paroles un peu osées sur un amour interracial peuvent sembler provocatrices pour 1969. The Band est donc un album anthologique, un des meilleurs d'une très grande année pour le rock, et accessoirement le sommet d'un groupe qui, au final, aura réussi l'exploit d'une discographie presque parfaite, comme vous aurez l'occasion de le découvrir ou redécouvrir avec la suite du cycle, qui se poursuit, d'ailleurs, demain même heure. Un album grandiose, vraiment !
FACE A
Across The Great Divide
Rag Mama Rag
The Night They Drove Old Dixie Down
When You Awake
Up On Cripple Creek
Whispering Pines
FACE B
Jemima Surrender
Rockin' Chair
Look Out Cleveland
Jawbone
The Unfaithful Servant
King Harvest (Has Surely Come)