Je me suis posé la question : ô toi qui actuellement aborde ou ré-aborde un grand paquet d'albums des carrières solo des ex-Beatles, aurais-tu l'intention un peu cinglée de réaborder aussi la trilogie d'albums avant-gardistes que John Lennon et Yoko Ono ont enregistré en 1968/1969 ? Je me suis répondu avec un peu de retard (j'étais pas là quand je me suis posé la question) et ma réponse fusa : oui. Je dois être un peu cinglé quelque part, aussi. Bon. Comment commencer une telle chronique, celle du premier album solo officiel de John Lennon, sorti en novembre 1968, soit quelques jours avant (USA) soit quelques jours après (Angleterre et Europe) le fameux Double Blanc des Beatles ? S'il est sorti en même temps que l'album des Beatles, il a été enregistré quelques jours avant le début des longues sessions d'enregistrement du Double Blanc (qui s'étaleront du 30 mai au 14 octobre), vu qu'il a été enregistré en une seule journée, le 19 mai. Selon la légende, Lennon et Yoko n'avaient pas encore 'consommé' leur relation amoureuse (encore adultère, John était toujours marié à Cynthia) avant l'enregistrement, et baiseront ensemble pour la première fois la nuit même, l'enregistrement achevé. L'album n'est pas le premier opus solo d'un Beatles : en 1968 aussi, et très précisément le 1er novembre, George Harrison livrera son premier opus solo, Wonderwall Music, bande-son d'un film oublié (et très justement oublié). On peut même remonter plus loin, à 1967 et The Family Way, bande-originale du film du même nom, un disque de musique classique signé...Paul McCartney, aussi à oublier (comme le film). Mais quand l'album de Lennon et Yoko sortira en fin novembre 1968, ça sera le branle-bas de combat. A cause de son contenu, à cause aussi et surtout de son contenant.
Car Unfinished Music #1 : Two Virgins (tel est son nom) est sorti sous une pochette qui, recto comme verso, montre le couple adultère posant, nu, côte à côte, sans rien cacher. De face, et de fesse (ah ah ah). Köhllössahl skähndahll, comme un Kobaïen le dirait en s'insurgeant. EMI s'insurgera. L'album sortira sous couvert d'une housse de papier kraft recouvrant bien la pochette, sauf deux trous, un pour les visages innocents du couple, et un pour, tout en bas, le titre de l'album. Au-dessus du titre de l'album (sobrement écrit en typographie 'machine à écrire') se trouve une phrase de Paul McCartney, When two great Saints meet, it is a humbling experience. The long battles to prove he was a Saint ('Quand deux grands Saints se rencontrent, c'est une expérience d'humilité. Une longue bataille pour prouver qu'il était un Saint.'). What's the fuck ? Lennon a-t-il demandé à Paul (avec qui les relations commençaient à sérieusement se distendre en 1968) de lui écrire une phrasounette pour la pochette, ou a-t-il piqué cette phrase au hasardd'une conversation ? Macca a-t-il réellement dit ou pensé cette phrase ou est-ce un fake de Lennon ? Et pourquoi cette phrase qui sonne étrangement prophétique et prémonitoire 12 ans avant la mort de Lennon (mort ayant fait de lui un martyr du rock et, pour certains, un 'saint') ? En même temps, on s'en tamponne la contre-escarpe contre une carte de Paris et de sa proche banlieue. L'album est très court, c'est là son plus gros avantage : il ne dure que 29 minutes, offrant deux longues (14 minutes et quelques chacune) plages audio intitulées Two Virgins Part 1 et Two Virgins Part 2. Qu'entend-on pendant la quasi-demi-heure (amplifiée en CD, on a quelques bonus-tracks faisant passer le tout à 33 minutes : Remember Love, face B du single Give Peace A Chance) de l'album ? Vous ne voulez pas le savoir. Ah merde, si, vous le voulez ? Tant pis pour vous : on entend des bruitages divers, collages de bandes sonores faisant passer ceux du Revolution 9 (conçu par Lennon, mais tout le monde le sait) du Double Blanc des Beatles pour une chanson de Rémi Bricka. On y entend aussi des bribes de conversation, des instruments joués portnawak, des rires, des cris... Apparemment, Lennon et Ono se sont bien fendus le cactus à enregistrer, seuls, ce truc, mais ils sont bien les seuls à s'amuser ici.
Ils se sont aussi bien amusés à se prendre en photo à oilpé, ayant demandé au photographe de les laisser seuls quelques minutes (l'idée de base de la photo de pochette n'était pas de les prendre à poil, mais ils ont trouvé ça rigolo, les petits zigotos). Lennon a imposé la photo, genre c'est ça ou rien, et ce fut ça...et rien, vu le papier kraft. L'album est sorti sur Track Records en Angleterre et Tetragrammaton aux USA, EMI ayant vigoureusement refusé de le sortir sur Apple. Par la suite, il sera réédité sur Zapple, un sous-label expérimental d'Apple Records, au même titre que les deux albums suivants du tandem, et que les deux premiers opus (expérimentaux) d'Harrison. Inutile de dire que les critiques furent assassines à la sortie de cet Unfinished Music #1 : Two Virgins, et que le titre même de l'album foutait les jetons aux gens, qui se disaient bien que, tôt ou tard, le couple assènerait un deuxième volume (au minimum) vraisemblablement aussi chtarbé que le premier. Le succès commercial fut à la hauteur de l'accueil critique : le disque sera un bide, pas mal de gens l'achèteront pour la pochette scandaleuse plus que pour la musique. Tout le monde le détestera, ce qui n'est pas étonnant. Lennon lui-même a passé 6 mois à convaincre les autres Beatles de le laisser sortir ce disque, à la fin ils cèderont, mais les négociations furent dures. Je n'ose imaginer la tronhe qu'ils ont du tirer (et aussi celle des exécutifs d'EMI et d'Apple Records) lorsqu'ils ont écouté les 29 minutes de l'album. Dire que ce disque interminable (malgré sa courte durée) n'est pas le pire album avant-gardiste du duo maudit du rock laisse perplexe et même un peu rêveur... Ca laisse aussi un peu rêveur de se dire que cet album (et les deux autres) sont touours commercialisés en CD, chez Rykodisc, et bien souvent à un prix tellement rébarbatif que même avec la meilleure volonté du monde, il faut se forcer et se convaincre longuement du bien-fondé de la chose avant d'oser en acheter un (perso, je possède le deuxième album, mais pas les autres)...
FACE A
Two Virgins, Part 1
FACE B
Two Virgins, Part 2