Don't meddle with things you do not understand... ("Ne te mêles pas de ce que tu ne comprends pas"), voilà ce que l'on entend, à l'envers, et avec une voix à la Idi Amin Dada, au début de la chanson Still Life, sur ce quatrième album d'Iron Maiden. C'est la voix, ivre, de leur nouveau batteur, Nicko McBrain, qui dit cette phrase en allusion directe aux rumeurs de satanisme dont fut victime le groupe suite à la sortie de leur troisième album, The Number Of The Beast, en 1982. Une phrase rigolote (enfin, la manière dont elle est prononcée, un faux accent africain) en petite pique pour les lanceurs de rumeur. Il faut dire qu'après The Number Of The Beast et sa tournée de folie (Tour Of The Beast), le groupe a subi la rançon de son succès, comme toujours. Ouiiii, la chanson et l'album s'appellent en allusion au Diable, blablabla, ce sont des sataniiiiiiistes, blablabla, il faut brûler leurs albums, blablabla, laissons parler les cons. Le groupe a aussi bien profité de son succès. Le seul à ne pas en avoir profité à fond reste leur batteur, Clive Burr, qui sera viré (ou qui partira de son propre gré) pour raison personnelle, alcoolisme (le pauvre Burr, plusieurs années plus tard, sera atteint de sclérose en plaques, il est décédé l'an dernier). Il sera remplacé, courant 1982, par un certain Michael McBrain, surnommé Nicko (du nom d'une peluche qu'il avait enfant !), un batteur prodigieux qui, juste avant, faisait partie du groupe de hard-rock français Trust. Arrivé en 1982 chez Maiden, il n'en a depuis pas bougé, et on en est bien contents, car c'est pile poil le batteur qu'il fallait au groupe (non pas que Burr n'était pas bon, mais Nicko est supérieur), il a une force de frappe hallucinante, et une technique carrée, rigoureuse. Et c'est un sacré rigolard, aussi, et un mec, on le sent, vraiment sympa (les autres membres du groupe aussi, d'ailleurs ; Dave Murray semble très sympa, ça se lit sur son visage).
En janvier 1983, le groupe s'envole, avec Martin Birch, pour les Bahamas, afin d'enregistrer, aux fameux studios Compass Point de Nassau, leur quatrième album. C'est la première fois, et pas la dernière, qu'ils enregistrent en-dehors de la perfide Albion (raisons fiscales, déjà ?), et le changement leur réussira plutôt bien. Entre janvier et mars, ils accoucheront des neuf titres qui se trouveront sur ce quatrième album, un album qui sortira en mai et portera le nom de Piece Of Mind (jeu de mots avec "peace of mind", terme que l'on retrouve dans la chanson Still Life), un titre qui n'était pas celui que le groupe avait, au départ, choisi (ils hésitaient avec Food For Thought, mais une fois le visuel de la pochette choisi - Eddie, dans une cellule capitonnée, attaché, et ayant été lobotomisé, fraîchement trépané (ça coule encore du front !) -, visuel signé Derek Riggs encore une fois, ils changeront de titre). Un album bien plus long que les précédents (et moins que la majorité des suivants), vu qu'il dure 46 minutes, et aucun morceau ne sera rajouté sur les versions CD, contrairement aux trois précédents opus. Piece Of Mind est le premier album du groupe à ne pas proposer de chanson-titre (et jusqu'à 1995 et The X Factor, ça sera le seul album du groupe dans ce cas), même si, comme je l'ai dit, Still Life contient, dans ses paroles, l'expression "peace of mind", qui se prononce de la même manière que le titre de l'album. Remarquablement produit, l'album est, selon Steve Harris (basse, leader du groupe), le meilleur qu'ils ont fait dans les années 80. A sa sortie, les critiques ne furent globalement pas d'accord, l'album ayant été moyennement accueilli, il faut dire qu'il a été fait après The Number Of The Beast... La tournée mondiale sera moins longue que de coutume, un des concerts sera immortalisé par un incident, une jeune femme, assez peu vêtue, montera sur scène, Bruce Dickinson (chant) lui dénudera la poitrine, la jeune femme se laissera faire, mais portera plainte, ce qui entraînera l'arrestation éphémère du chanteur, situation rapidement règlée, ceci dit...
L'album est le premier fait par un line-up qui, assez solide, tiendra jusqu'en 1988, sans aucun changement. Sans aller jusqu'à penser la même chose que Steve Harris à son sujet (le meilleur du groupe dans les années 80, leur disque de la matûrité selon lui, carrément !), car je pense que Piece Of Mind n'est pas parfait, il faut reconnaître que cet album est, globalement, de très très haute tenue. On y retrouve plusieurs thèmes chers à Maiden : références à des oeuvres culturelles connues, sujets mystiques ou occultes, sens du progressif... L'album démarre en fanfare par Where Eagles Dare, inspiré du roman d'Alistair MacLean (qui sera adapté au cinéma par Brian G. Hutton en 1968, avec Clint Eastwood et Richard Burton : Quand Les Aigles Attaquent, classique du film de guerre), chanson démentielle à la batterie mitraillette (Nicko McBrain est un batteur tueur), au solo de guitare aérien et grandiose (agrémenté d'effets sonores de mitraillette, justement), au chant survolté de Dickinson. La chanson parle du sujet du roman et du film, une équipe de soldats Américains en mission secrète et quasiment suicidaire partant à l'assaut d'une forteresse allemande dans les Alpes de Bavière, pour récupérer un général allié qui y est retenu en otage. Grande chanson en guise d'ouverture, et on passe ensuite à un morceau tout aussi long (plus de 6 minutes) et abordant l'occultisme et l'Egypte ancienne : Revelations. La chanson cite, en intro, l'écrivain Gilbert K. Chesterton, et s'inspire d'Aleister Crowley. Dickinson en état de grâce. En live, ce morceau sera grandiose. Flight Of Icarus, qui suit, bien plus sobre en durée, sera un single au fort succès, chanson sur le fameux mythe d'Icare que tout le monde connait ; pas ma chanson préférée, mais elle assure. En revanche, je ne suis franchement pas fan de la chanson achevant la première face, Die With Your Boots On. Comme il est dit dans le livre de Neil Daniels (sorti il y à peu de temps) sur le groupe, en live, elle bute, mais en studio, elle ne mérite pas plus qu'une ou deux écoutes (je suis pour ma part circonspect, même, sur son effective tuerie en live, je n'ai jamais aimé cette chanson que je trouve horripilante au plus haut point). Heureusement, on se rattrape en ouverture de face B avec ce qui restera à vie la chanson la plus mythique de Piece Of Mind, j'ai nommé : The Trooper. Une chanson qui s'inspire de La Charge De La Brigade Légère de Tennyson, excusez du peu. Sur scène, Dickinson, fringué en soldat britannique (de l'époque napoléonienne), donnera toujours tout, sur ce titre. You'll take my live, but I'll take yours too...
Still Life, qui suit (entre The Trooper et elle, le fameux message subliminal à l'envers avec lequel j'ai démarré ma chronique), est une pure petite merveille assez méconnue, sous-estimée aussi, et personnellement ma préférée de l'album, oui oui, une chanson sur un bassin hanté, rempli de créatures qui semblent attirer toute personne les regardant. Cette chanson est une pure merveille, ce qui n'est hélas pas le cas des deux qui vont suivre. La première, c'est Quest For Fire, chanson se basant sur le film de Jean-Jacques Annaud (La Guerre Du Feu), lui-même adapté d'un roman. Sincèrement, on tient ici non seulement la moins bonne chanson de l'album, mais clairement, avec Gangland (album précédent), une des pires chiasses amais pondues par le groupe dans les années 80, et même une des pires chiasses de l'ensemble de leur carrière (avec, aussi, Gangland, et rajouter When Two Worlds Collide, sur Virtual XI, et The Assassin sur No Prayer For The Dying). Abominablement poussif (le refrain, notamment). Sun And Steel, qui parlerait d'un samouraï du Japon médiéval du nom de Miyamoto Musashi, est meilleure, mais on est quand même loin du niveau des autres chansons du groupe. Pour finir, on a To Tame A Land, chanson excellente et relativement peu connue, sans doute un peu lente et longuette (elle dépasse les 7 minutes, c'est la plus longue de l'album) et qui, au départ, devait s'appeler Dune. D'ailleurs, elle parle du roman du même nom, de Frank Herbert, et on y trouve de multiples allusions, comme si ce n'était pas évident : Arrakis, Dune, le Kwisatz Haderach, les Fremen, Muad'Dib, Caladan, Gom Jabbar, les Vers des Sables, l'Epice, les sietch (tenues portées par les Fremen pour survivre dans le désert)... Le groupe demandera à Frank Herbert l'autorisation d'appeler leur chanson Dune, et Herbert refusera en des termes on ne peut plus clairs : il dira ne pas aimer les groupes de rock, plus spécialement les groupes de hard-rock, et plus spécialement Iron Maiden ! To Tame A Land sera donc le titre de la chanson, l'histoire ne dit pas si Herbert sera furieux de savoir qu'une chanson sur son roman existera quand même sans son accord... La chanson est très bonne, surtout après ces deux ratages que sont Quest For Fire et Sun And Steel, mais je pense quand même que Piece Of Mind se finit un peu moyennement. Et si on y rajoute un Die With Your Boots on médiocre sur la face A, ça fait une bonne raison, pour moi, de ne pas voir en ce disque le meilleur album de Maiden pour les années 80. Mine de rien, c'est quand même un disque rempli de classiques et de hits, et un très très bon album, super bien produit. Mais Maiden fera mieux l'année suivante, enfin, selon moi ! Ca reste un disque à conseiller pour les amateurs.
FACE A
Where Eagles Dare
Revelations
Flight Of Icarus
Die With Your Boots On
FACE B
The Trooper
Still Life
Quest For Fire
Sun And Steel
To Tame A Land
Un album excellent