FZ4

Le 10 décembre 1971, lors d'un concert donné au Rainbow Theatre de Londres, Frank Zappa est balancé dans la fosse par un spectateur monté sur scène et très en colère contre lui, soit parce qu'il pensait que le moustachu zieutait pas mal sa petite amie, soit parce qu'il n'aimait pas (il : le spectateur, hein) le concert. Bilan ? Je ne sais pas ce qu'il est advenu du connard, mais Zappa, lui, a fini à l'hosto, traumatisme crânien, blessures dorsales, écrasement du larynx... Pendant deux mois, Zappa est en fauteuil roulant. Puis commence sa convalescence, au cours de laquelle il va s'improviser chef d'orchestre. Il va, en avril/mai 1972, enregistrer, en même temps, deux albums qui sortiront pour le premier en juillet, et le second en décembre de la même année. Deux albums de jazz-fusion/rock. Le second de ces deux albums n'est autre que The Grand Wazoo, disque insensé à la pochette pharaonique. Le premier, lui, n'est autre que Waka/Jawaka, cet album-ci, donc (au passage, en avril 1972 sortira un live enregistré en octobre 1971, Just Another Band From L.A., sur la pochette duquel apparaît, comiquement, une jambe dans le plâtre, allusion à l'accident de Zappa ; un live qui met fin à la période Flo & Eddie - même si c'est surtout l'accident qui y met fin par la force des choses, arrêt de la tournée, etc... - , démarrée en 1970 avec Chunga's Revenge). Waka/Jawaka, dont le titre, sur le vinyle (tranche de pochette et labels) est rallongé en Waka/Jawaka - Hot Rats, est un des albums les plus complexes de Zappa, probablement. 

FZ5

C'est un album peu étendu, 4 titres pour 36 minutes (un de ces titres occupe une face entière, ceci dit), et qui se veut, selon Zappa, une sorte de suite à Hot Rats, dont il est fait explicitement allusion sur la pochette dessinée par Marvin Mattelson et Cal Schenkel : un lavabo sur lequel les deux robinets indiquent pour l'un, 'hot' (logique), et pour l'autre, non pas 'cold', mais 'rats'. Le titre de l'album (qui aurait été trouvé suite à une expérience avec une planchette de ouija, selon Zappa) est en tag sur le mur au-dessus. Hot Rats était le premier 'vrai' album solo (en fait, son premier solo, c'était Lumpy Gravy en 1968, mais bon, son groupe était en activité à ce moment...) de Zappa après la fin des Mothers Of Invention en 1969. Comme la seconde mouture des Mothers (sans Of Invention dedans) a pris fin, Waka/Jawaka est son premier album solo depuis lors. Quelque part, c'est logique qu'il soit en allusion à celui de 1969. Mais ça a beau être un disque solo, on parle de Zappa, et Zappa n'a jamais fait de disque solo où il est le seul à jouer et chanter. Ici, il est entouré d'un véritable big band, avec notamment Sal Marquez, Aynsley Duunbar, George Duke, Don Preston, Sneaky Pete Kleinow, Tony Duran, Erroneous, Jeff Simmons, Janet Ferguson, je ne vais pas tous les citer. Un beau petit bordel qui sera encore plus fourni sur l'album suivant. Musicalement, Waka/Jawaka est un disque difficile à aimer, et surtout, à pénétrer. S'il offre deux courts morceaux de 3/4 minutes en ouverture de sa face B (Your Mouth et It Just Might Be A One-Shot Deal), deux morceaux sympas mais qui passent un peu inaperçus, il se paie le luxe de s'ouvrir sur les 17 minutes éléphantesques et bien bariolées de Big Swifty le bien-nommé. 

FZ6

Beaucoup de cuivres (trombones, trompettes, saxophone, clarinette, bugle...), en pagaille, pour un côté Count Basie essaie le LSD couplé avec de la vodka, qui offre à l'album une atmosphère totalement dingue. Aussi bien Big Swifty que le morceau-titre (qui, achevant l'album, dure, lui, 11 minutes) imposent beaucoup de patience, de volonté, de courage, et il est inutile de préciser que si vous aimez Zappa, mais juste comme ça, à l'occasion, ou que si vous ne connaissez pas encore l'oeuvre du moustachu, Waka/Jawaka n'est pas vraiment recommandé pour vos oreilles. Ce disque est à réserver aux fans hardcore, qui, parfois, sortent un peu interloqués, perdus, de l'écoute de ce disque, pourtant, court, mais qui semble parfois durer plus longtemps que ses 36 minutes. A force, on parvient, lentement mais sûrement, à pénétrer dans ce disque vraiment compliqué, mais qui fait peut-être partie des plus réussis de Zappa, même si je lui préfère très fortement The Grand Wazoo, musicalement très proche (et pour cause, les deux albums ont été, comme par la suite Over-Nite Sensation et Apostrophe ('), faits en même temps ou presque), mais plus accessible. Plus réussi encore, aussi, du moins c'est mon avis. Mais un amateur de free/jazz décomplexé et un fan de Zappa ne doit pas passer à côté de cet album curieux, enregistré durant une période douloureuse, et qui n'a pas eu le succès escompté (ce qui, pour ce point, n'est pas si étrange que ça). 

FACE A

Big Swifty

FACE B

Your Mouth

It Just Might Be A One-Shot Deal

Waka/Jawaka