Après un Killer démentiel en 1971, School's Out, l'année suivante, décevra quelque peu. Pas commercialement, l'album marchera en effet très bien, grâce notamment à la surpuissance absolue de son morceau-titre, qui reste encore aujourd'hui une des meilleures chansons de rock qui soient. Mais l'album contenait quand même quelques chansons vraiment anodines, et son atmosphère, assez grandiloquente et comédie musicale par moments, ne fonctionnait pas vraiment. C'est un disque qu'on écoute avec intérêt, mais pas vraiment avec plaisir, pas autant que Killer, en tout cas. Et pas autant que l'album que le Coop' sortira l'année suivante, en 1973 donc, ce Billion Dollar Babies tout simplement époustouflant offrant 41 minutes (et 10 titres) de hard-rock délirant et glam/trash. Le tout, sous une pochette verte luisante imitant un portefeuille en peau de serpent. Même l'intérieur de pochette est à l'avenant, avec ce rabat central permettant de tenir un faux billet d'un milliard de dollars à l'effigie d'Alice et de son groupe, voir la photo plus bas. Quel dommage que la version CD soit un simple livret tout con, ça perd évidemment beaucoup de son charme ainsi. Mais c'est pas la première fois, et pas la dernière, que j'encourage à privilégier le vinyle... Encore une fois produit par Bob Ezrin, cet album sera un réservoir à tubes, et un des plus grands succès commerciaux d'une année pas avare en grands albums (Goodbye Yellow Brick Road, Houses Of The Holy, Aladdin Sane, Tres Hombres, Band On The Run, Ringo, Living In The Material World, les deux doubles best-ofs des Beatles, Goats Head Soup, The Dark Side Of The Moon, ont tous super bien marché en cette même année).
Pochette vinyle ouverte : le symbole du dollar de la partie droite est un rabat du type portefeuilles
Les classiques sont légion sur ce disque vert croco : Elected (une nouvelle version, plus pêchue et glam, plus hard aussi, de son Reflected issu de Pretties For You), Billion Dollar Babies qui bénéficie de la participation vocale de Donovan (oui, le chanteur folk anglais !), No More Mr Nice Guy, Hello, Hooray (une reprise). Possédant une atmosphère de totale décadence glam-trash, paillettes et obsessions morbides (I Love The Dead, avec sa partie de vocalises exagérées qui me fait rire (tadadadadadadadadadadadaaaaaaa) et ses paroles à la fois hilarantes et outrancièrement glauques : I love the dead, before they're cold/Their glueing flesh for me to hold/Cadaver eyes, upon me, see...nothing), et délires musicaux en tous genres : Mary Ann est une petite ballade de piano bastringue, Raped And Freezin' (sur un homme se faisant violer, chouette thème) se termine en samba, Unfinished Sweet, sur un homme souffrant le martyre sur un fauteuil de dentiste, réutilise le thème de James Bond sur fond de cris de douleur étouffés, Hello, Hooray parvient à l'exploit de sonner comme du ABBA dans ses arrangements et fonctionne admirablement en guise d'ouverture, Elected montre un Alice en pleine campagne électorale, ramonant sans fin les électeurs comme quoi il faut voter pour lui, nous balançant son programme sur fond de hard-glam des plus jubilatoires, Generation Landslide, que le Coop' refera en 181 sur le médiocre et étrange Special Forces, est une sorte de chanson countrysante sur le mal-être de notre génération (And I laugh to myself at the men and the ladies/Who never conceived of us billion dollar babies...)...
Sous-pochette (au dos, les paroles sur fond vert), au design aussi outrancier que la musique
Billion Dollar Babies, surproduit par Bob Ezrin, est totalement jubilatoire. Ce fut mon deuxième album d'Alice après Killer, j'ai en fait acheté les deux disques le même jour et s'il fut mon deuxième, c'est dans une stricte logique chronologique. J'ai dit que l'album était surproduit, et c'est vrai. Comme le Bat Out Of Hell de Meat Loaf (qui sera fait quatre ans plus tard avec probablement l'album du Coop' en tête, tant les arrangements, parfois, se ressemblent), ce disque est un gros, un très gros pudding bien rempli de tout ce qu'il faut, crème, chocolat, noix de pécan, cerises confites, nougatine, meringue, fruits secs, coulis, il y à énormément de choses, ça sonne comme si on avait passé des années à produire ce truc, clairement Ezrin (qui a toujours aimé ce genre de production : Berlin de Lou Reed, de la même année, produit par Ezrin, est une sorte de croisement entre Billion Dollar Babies et un disque du Velvet Underground, rapport à la voix et aux textes de Reed) a eu la main lourde, mais curieusement, miraculeusement, ça fonctionne totalement. Ce côté larger than life est pile poil ce qu'il fallait aux 10 chansons de ce monumental album, un des meilleurs d'Alice, un des meilleurs de 1973 et des années 70 en général. Billion Dollar Babies fait partie de ces albums qui, s'il peuvent semblent un peu bourratifs au premier abord, sont d'une logique interne implacable et se révèlent progressivement, devenant assez rapidement totalement indispensables et indépassables. Je laisse la parole au Coop' dans les derniers instants de Hello, Hooray, avant de vous donner rendez-vous demain pour la suite de ses aventures : God, I feel so strong, so strong, so strong, I feeeeeeeeeel...sooooooo...stroooooooonnnnnggggggg..., et effectivement, il l'était vraiment, so strong, en 1973.
FACE A
Hello, Hooray
Raped And Freezin'
Elected
Billion Dollar Babies
Unfinished Sweet
FACE B
No More Mr Nice Guy
Generation Landslide
Sick Things
Mary-Ann
I Love The Dead