Malgré eux, les Australiens entament ici leur nouvelle ère. Le 19 février 1980, à l'âge de 33 ans, Bon Scott décède d'asphyxie et de congestion, à l'arrière d'une Renault 5, à Londres, au cours d'une nuit de cuite. Il était en train de bosser, avec son pote français Bernie Bonvoisin (leader de Trust, dont le dernier album est sorti récemment), à l'adaptation en français des paroles des chansons de l'album Répression de Trust. Trust qui, en 1981, sur Marche Ou Crêve, dédiera une chanson, Ton Dernier Acte, à Bon. AC/DC est, selon les dires d'Angus Young dans une interview, comme amputé d'un bras avec la mort de leur frontman charismatique et roublard. On les dit finis pour le compte. Mais après une période difficile de deuil et d'abattement, le groupe se ressaisit. Des fans leur parlent d'un chanteur assez hallucinant, à la voix haut-perchée, aux rouflaquettes ringardes et au béret vissé sur le crâne, qui chante dans un groupe de rock à la Slade (du rock à la fois glam et hard), Geordie. Le chanteur s'appelle Brian Johnson. AC/DC va le voir en concert, et est subjugué. Voix, prestance scénique, look, le mec a à peu près tout ce qu'il faut là où il faut. Johnson est convoqué pour des essais, au cours desquels il convainc tellement le groupe qu'il est engagé comme chanteur. Il n'en revient pas. On lui offre un petit chèque, une bagnole, et en plus, l'enregistrement du nouvel album, sous la houlette de Robert John 'Mutt' Lange, aura lieu non pas à Londres, ni en Australie, mais au Bahamas, aux studios Compass Point de Nassau. Bob Dylan, Dire Straits y ont enregistré, Iron Maiden y enregistrera aussi.
Les précédents albums étaient constitués de chansons signées de Bon Scott et des frangins Young. Back In Black, leur premier album avec Brian Johnson, sera, comme les suivants jusqu'en 1988 inclus (après, ça sera les frangins seuls), signé des frangins et de Brian Johnson, qui reprend donc toutes les attributions du défunt chanteur. Sorti en juillet 1980 sous une pochette totalement noire, avec le label du groupe embossé en liseré blanc et le nom de l'album embossé en noir, Back In Black sera un triomphe qui fera dire à tout le monde que, non, AC/DC n'est pas mort. 42 minutes de hard-rock infernal, produit à la perfection même s'il est vrai que la basse de Cliff Williams n'est pas super audible tout du long. Mais les deux guitaristes, tour à tour leader et rythmique, et le chanteur livrent une triple prestation tellement bluffante et définitive qu'on en oublie le reste (à ce propos, la batterie de Rudd n'est pas en reste, elle, quelle frappe !). Là encore, il faut le dire, l'album n'est pas parfait, bien qu'il s'agisse d'un des sommets du genre. Comme tous les albums d'AC/DC, sans exception, Back In Black offre des fillers. Plus précisément, Shake A Leg force le trait avec une lourdeur inutile, et Given The Dog A Bone, aux paroles en double-sens des plus obscènes et que Bon aurait validées ('filer un os au chien', on devine de quel os il s'agit, surtout que c'est pas un os stricto sensu), est également assez lourd. Marrant, ces deux chansons sont au même emplacement, sur leurs faces respectives, en avant-dernière position, avant un final de face, à chaque fois, bluesy et au rythme plus lent que le reste de l'album. Les deux faces sont d'ailleurs agencées de la même façon, avec un morceau démoniaque de maîtrise en intro (Hells Bells et ses cloches, You're only young, but You're gonna die, Back In Black et son riff monstrueux), un morceau génial en succession (Shoot To Thrill, le tubissime - et un petit peu énervant à la longue, comme Iron Maiden et son Run To The Hills - You Shook Me All Night Long) et un morceau rentre-dedans ensuite (What Do You Do For Money Honey, simpliste mais sympa ; Have A Drink On Me, hommage à Bon Scott comme il se doit).
Encore une fois, la meilleure chanson de l'album (enfin, une des deux meilleures avec le morceau-titre qui ouvre la seconde face) est en ouverture. Mais Back In Black n'est pas inégal comme l'était le pourtant excellent Highway To Hell. Dans la discographie d'AC/DC, cet album à la pochette endeuillée est incontestablement un des 5 meilleurs, et probablement même le meilleur. Personne ne pouvait se douter, avant sa sortie, que le groupe réussirait à surmonter l'épouvantable drame du 19 février, à se sortir les doigts et à enregistrer un disque aussi puissant. Personne, aussi, ne pouvait se douter qu'il faudrait attendre 28 ans, oui, 28 ans, pour avoir enfin entre les mains et dans sa chaîne hi-fi un album aussi réussi que celui-là (pour être honnête, pas aussi réussi, mais il s'en est fallu de peu), je parle de Black Ice en 2008, mais c'est une autre histoire. Non pas que tous les albums faits entre temps soient ratés, bien qu'il y en ait quelques uns qui, effectivement, le soient, mais Back In Black restera, pendant longtemps (et en fait, il reste toujours) l'indépassable sommet du groupe, le disque-étalon qui servira de comparateur à chaque nouvelle livraison, et à chaque fois, malgré souvent des titres mémorables, ça sera en défaveur du nouvel arrivé dans la discographie. Par exemple, l'album suivant, que le groupe enregistrera très rapidement après car il sortira en 1981. J'en reparle demain, mais cet album suivant, à la pochette marron, est un bel exemple de disque ayant eu le malheur d'avoir été fait après Back In Black. On a beau essayer, impossible de l'aimer autant que le précédent, impossible de le trouver aussi bon. Le groupe commence à se laisser aller, comme s'il savait qu'avec ce disque de survie, ils avaient définitivement tout donné. La suite demain...
FACE A
Hells Bells
Shoot To Thrill
What Do You Do For Money Honey
Given The Dog A Bone
Let Me Put My Love Into You
FACE B
Back In Black
You Shook Me All Night Long
Have A Drink On Me
Shake A Leg
Rock'n'Roll Ain't Noise Pollution