En 1973, Steve Harris, un fondu de football (il en a même joué, éphémèrement, dans le club de West Ham, qu'il supportera sans aucun doute toujours même une fois mort) et de rock, fonde son propre groupe, dont il tiendra le rôle de bassiste : Iron Maiden. Plusieurs changements de personnel (chanteur, batteur, guitariste, un claviériste puis finalement sans, etc...), et en 1979, le groupe sort un EP, devenu totalement mythique, The Soundhouse Tapes, trois chansons (dont deux qui se retrouveront sur le premier album). A l'époque, le groupe est constitué de Steve Harris (basse, leadership incontesté du groupe), Paul Di'Anno (chant), Dave Murray (guitare) et Dougie Sampson (batterie). Sampson se barre, est remplacé par un certain Clive Burr, et un autre guitariste déboule, Dennis Stratton, et c'est sous cette formation que le groupe, sous la houlette d'un producteur du nom de Will Malone, entre en studio pour accoucher de leur premier album. Entre temps, ils récoltent aussi un puissant manager en la personne de Rod Smallwood, qui décide de s'occuper d'eux (il est toujours dans le coup) une fois The Soundhouse Tapes écouté. L'album est enregistré en février 1980 au studio Kingsway de Londres, et sortira en avril. Il s'appelle très sobrement Iron Maiden (le nom du groupe vient de cet antique instrument de torture médiéval, la Vierge de Fer, Harris a eu l'idée du groupe en lisant le roman L'Homme Au Masque De Fer d'Alexandre Dumas), possède une durée elle aussi très sobre (37 minutes, pour 8 titres ; l'édition CD la plus récente incorporera une neuvième chanson, Sanctuary, située en seconde position, pour que le disque atteigne tout juste la quarantaine de minutes), c'est l'album le plus court du groupe, EP exceptés. La pochette, elle, est moins sobre, un mort-vivant en t-shirt, chevelure punk hérissée, devant un muret, de nuit, éclairé par un lampadaire, pochette signée Derek Riggs, lequel deviendra un total fidèle d'Iron Maiden. Cette pochette représente Eddie The Head, emblème du groupe, représenté sur toutes les pochettes, y compris les singles, sous diverses variations. Le nom de ce personnage vient d'une antique blagounette typiquement britannique : un couple vient d'avoir un enfant, qu'ils appellent Eddie, mais cet enfant est né sans bras, sans jambes, sans tronc, rien qu'une tête, vivante, capable de penser. Le médecin leur dit : laissez la tête grandir jusqu'à ses 14 ans, il aura atteint sa taille définitive, et on verra, là, pour lui greffer un corps. Arrive les 14 ans, et les parents d'Eddie lui disent : pour ton anniversaire, cette année, on a une grosse surprise pour toi. Eddie leur répond : pas encore un de ces putains de chapeaux à la con, j'espère ?
Iron Maiden, donc. Premier album d'Iron Maiden, un des groupes (si ce n'est LE groupe) fers de lance de la fameuse New-Wave Of British Heavy-Metal, ou NWOBHM, expression trouvée par le magazine britannique Sounds à l'époque. Personne ne pouvait vraiment se douter, à l'époque de la sortie de ce disque, qu'Iron Maiden allait assez rapidement devenir un groupe mythique, majeur du hard-rock, des dieux vivants. Un an et demi plus tard, le groupe lourdera Paul Di'Anno, et recrutera le chanteur de Samson (autre groupe de la NWOBHM), Bruce Dickinson, à la place, et deviendra, dès lors, ce qu'il est devenu. Mais en attendant, en 1980, quand Maiden entre en studio, il n'est pas grand chose. Et ça, Will Malone, le producteur du disque, le sait, et apparemment, il pense clairement que c'est bien parti pour durer. Autant le dire tout de suite, niveau production, Malone a totalement merdé l'affaire, le son du disque est assez pourri, la basse est mise en avant, trop en avant, les guitares sonnent comme si Stratton et Murray se trouvaient dans des autocuiseurs au moment de l'enregistrement... Se foutant complètement de produire un groupe dont il n'avait strictement rien à battre (et il n'était pas spécialiste es groupes de heavy-metal, qui plus est), Malone a bâclé l'affaire, et Steve Harris s'est retrouvé à produire quasiment tout seul (et il était néophyte en la matière, lui qui a appris même la basse tout seul, en amateur), et le résultat est là : peu satisfaisant. Mais pas honteux. Disons que pour un premier album, et compte tenu des circonstances (un studio pas glorieux - Kingsway n'est pas Abbey Road, ni les Olympic Studios - et un producteur qui s'en fout), c'est quand même honorable. Musicalement parlant, en revanche, c'est plus qu'honorable : le groupe assure. Steve Harris est un excellent bassiste, Clive Burr un batteur terrible, les deux guitaristes, Dave Murray (toujours dans le groupe, comme Harris) et Dennis Stratton, sont excellents et rivalisent de maestria, se livrant à des escarmouches sensationnelles (Transylvania, Phantom Of The Opera), de vrais duels ; et au chant, Paul Di'Anno, c'est quelque chose. Ce mec, c'est quelque chose, d'ailleurs : un physique un peu anodin (regard mi-insolent mi-bovin, carrure solide), une voix de punk. Bien que n'aimant absolument pas le mouvement punk, Iron Maiden (fondé nettement avant que le punk ne soit lancé) a du punk dans sa musique, en 1980/81. Essentiellement grâce à la voix rauque, agressive de Di'Anno.
Ce premier album aligne son lot de merveilles, plusieurs chansons que le groupe, bien des années plus tard, continuera de jouer live. Iron Maiden est un disque d'une importance totale pour le heavy-metal, un album abordant des sujets qui deviendront bien souvent récurrents dans le groupe : la violence, le sang, les mythes culturels horrifiques, la mort... L'album démarre en fanfare avec Prowler, chanson sur un maniaque aimant surprendre les gens caché dans les fourrés, les buissons. Est-ce un tueur ? Je dirai plutôt un obsédé sexuel, un violeur ou autre pervers, des paroles comme Well, you see me coming through the bushes with it open wide, can you see it girl ? ("tu me vois surgir des fourrés avec ça grand ouvert, est-ce que tu vois ça, chérie ?") me fait penser à un mec surgissant de nulle part, imperméable grand ouvert sur un zboub en érection, dès qu'une jeune femme passe près de lui. Grand chanson au riff imparable et minimaliste, et pour couronner le tout, un break grandiose. Le morceau suivant, sur le CD, est Sanctuary, chanson dévastatrice sur un homme cherchant à se cacher de la police (j'ai précisé 'morceau suivant, sur le CD, car Sanctuary ne se trouvait pas sur le vinyle britannique original). Efficace et brut. Puis Remember Tomorrow (le second morceau sur le vinyle, donc), environ 6 minutes de bonheur, surgit, une chanson au climat pesant et vaporeux, calme, presque doux (un bon gros break bien furax vient quand même changer la donne), interprétée par un Di'Anno étonnamment sobre. Sublime. Running Free, première chanson du groupe à être passée sur les ondes radio britanniques, suit, un morceau emblématique, facile, très simpliste, mais efficace, que le groupe transformera souvent, en live, en chanson participative avec le public (voir Live After Death, 1985). La face A s'achevait en fanfare sur les 7 minutes et des poussières de Phantom Of The Opera, première chanson du groupe à s'inspirer d'une oeuvre d'art (le roman de Gaston Leroux). Là, c'est tout simplement indescriptible, seule la qualité moyenne de la production entache le truc ; sinon, entre les soli de guitare, l'interprétation vocale, les paroles, c'est d'enfer.
Ouvrant la face B, Transylvania est l'unique instrumental de l'album, et une claque de plus. Ambiance sépulcrale, glauquissime et en même temps, très heavy et rock, on s'imagine sans peine en Transylvanie, près du château du sinistre Dracula, ou même piégé, comme Jonathan Harker dans le roman, dans le château. Les giclées de guitare dans les 'refrains' (car bien qu'instrumental, on sent clairement que Transylvania possède des refrains) sont terribles. Strange World suit, un morceau assez calme, plus que Remember Tomorrow car, ici, pas de break heavy pour contrebalancer la douceur du reste. On y parler d'une planète étrange où les filles boivent du vin de plasma (du rouge bien rouge, alors !), notamment. Guitares en mode décontracté, ce morceau était un des préférés du guitariste Dennis Stratton, lequel, peu à l'aise avec les morceaux les plus lourds du groupe, leur préférait les passages plus zen et aériens. Stratton ne restera pas longtemps dans le groupe, bientôt remplacé par Adrian Smith... Charlotte The Harlot, la chanson suivante, peut sembler un peu simpliste et, surtout, mineure, et il est vrai que c'est le morceau le moins grandiose de l'album, mais cette ode à une vieille pute (que Di'Anno a vraiment connu, elle ne s'appelait pas Charlotte - et n'habitait pas au 22 Acacia Avenue, car la chanson de ce nom que le groupe fera en 1982 parle aussi d'elle - mais a vraiment existé, et semblait chaude comme une baraque à frite en plein cagnard) est tout de même excellente. L'album se finit logiquement avec Iron Maiden, du nom de l'album, du nom du groupe, morceau remarquable et, comme Running Free, Phantom Of The Opera et Sanctuary, totalement emblématique du son Iron Maiden. Une chanson que le groupe interprétera quasiment (et je pense même qu'on peut retirer ce dernier mot) à chaque concert, de même que Running Free et Sanctuary. Ce qui permettra toujous au chanteur (pour les lives officiels du groupe, c'est quasi-intégralement des lives de la longue période Bruce Dickinson, d'ailleurs, à part un live de 1981, avec Di'Anno, aujourd'hui très difficile à choper : Maiden Japan) d'achever le morceau par la phrase Iron Maiden's gonna get you...and you...and you...and you...Iron Maiden's gonna get all of you !, et ce, en montrant le public du doigt. Une chanson grandiose (ce riff !) qui achève à merveille un grand album dont le seul défaut réside donc dans sa production brut de pomme, faiblarde, nettement en-dessous des albums suivants. Mais on trouvera cependant bien pire, en terme de qualité sonore, surtout pour un premier album et pour les années 80. La machine Maiden est lancée, calmement encore, mais ça ne tardera pas à s'emballer.
FACE A
Prowler
Remember Tomorrow
Running Free
Phantom Of The Opera
FACE B
Transylvania
Strange World
Charlotte The Harlot
Iron Maiden