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L'idée de Bryan Ferry était simple : fonder un groupe de rock et devenir hype. Pour ce fils de mineur gallois n'ayant pas connu la prospérité dans son enfance et adolescence, gagner sa vie avec sa passion semblait quelque chose de foutrement important. En plus de vouer une bonne grosse passion au rock (on le sent fan d'Elvis Presley, notamment), Ferry adore le cinéma, il décide donc d'appeler son futur groupe, quand il existera, Roxy, en hommage à ce nom qui, souvent, est utilisé pour appeler les salles de cinéma. Bryan recrute à tout va, il fait la connaissance de Brian Eno, qui tiendra des claviers (Ferry aussi) et les bidouillages électroniques ; d'Andy Mackay, saxophoniste qui impose aussi son instrument fétiche, peu usité, le hautbois ; de Paul Thompson, batteur ; de Graham Simpson, bassiste (qui, cependant, ne durera pas longtemps : dès le deuxième album, il ne sera plus là) ; et de Phil Manzanera, guitariste, qui ne sera pourtant pas le premier choix de Ferry, mais le premier guitariste choisi (David O'List) n'ayant pas convaincu, il reviendra rapidement vers Manzanera. Roxy est né. Ne manque plus qu'un manager, un producteur, une maison de disques, et le tour est joué. En attendant ça, le groupe répête, compose ses chansons (Ferry compose tout sur le premier album ; par la suite, ça sera plus démocratique)... et change de nom. Roxy était déjà, en effet, le nom d'un groupe de rock, groupe certes peu connu, et sans doute plus actif, mais ce groupe a existé, donc il faut changer. Ferry, agacé, rajoute un Music à la suite, ne voulant pas abandonner son idée de faire un groupe de rock en allusion au cinéma. Roxy Music est né.

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Pour le producteur, ça se fait assez facilement, tout compte fait : ayant, en 1970, vainement postulé auprès d'E.G. Records (maison de disques, hébergée par Islands, qui signait King Crimson) pour remplacer Greg Lake au sein de King Crimson (Robert Fripp refuse, mais ne lui ferme pas la porte au nez non plus, il le dirigera vers son agent, David Enthoven, d'E.G. Records), Ferry trouve en la personne de Pete Sinfield, ancien parolier de Crimso parti de son propre chef en 1971 un producteur idéal. Le groupe signe chez E.G., donc. L'album est assez rapidement enregistré, le groupe ayant auparavant bien rôdé ses titres. Il y aura 9 titres sur l'album, pour environ 42 minutes. Aux USA, un dixième titre est rajouté (sur les rééditions CD, aussi), Virginia Plain, morceau de 3 minutes situé dans ce cas entre les troisième et quatrième titres, et qui, sinon, sortira en single et marchera très fort. Sans titre (Roxy Music), l'album sort sous une pochette glamour, la première et pas la dernière pour le groupe, représentant une charmante jeune femme du nom de Kari-Ann Moller (il semblerait que c'était une ex à Keith Richards ou à un autre Stones), en tenue froufroutante et minimaliste, outrancièrement maquillée, sur un lit. Rien que la pochette donne le ton, on sent que ce groupe ne sera pas comme les autres. A l'intérieur de la pochette ouvrante, six photos individuelles des membres, avec des coupes de cheveux ou tenues parfois très décalées (les lunettes yeux de mouche de Manzanera, le look d'Eno...), Graham Simpson et Andy Mackay sont ceux qui s'en sortent le mieux. Simpson fait même un peu celui qui n'a rien à foutre là et qui ne le sait que trop bien (sa basse est pourtant excellente). On a aussi les crédits, forcément, et un curieux texte dont on se demande ce qu'il vient faire là (pour occuper de la place ?)...

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La pochette intérieure (je n'ai pas trouvé de photo de l'ensemble, mais deux photos séparées, des deux volets)

Considéré comme un grand disque, ce qu'il est, Roxy Music est un des meilleurs albums du groupe, et un des meilleurs premiers albums qui soient. Il est même considéré, à sa sortie en 1972, comme le meilleur premier album qui soit, et comme l'album de l'année, alors que l'année 1972 n'en était qu'à sa moitié. L'album... Il faut dire qu'il assure des tonnes, ce premier opus ! Il s'ouvre sur une chanson grandiose, Re-Make/Re-Model, chanson s'ouvrant sur un drone bourdonnant, bruit de foule, de conversations cacophoniques, puis, rupture, et une ligne de piano entêtante surgit. Batterie, guitare étrange, et la voix toute aussi étrange de Ferry : I tried but I couldn't find a way/Looking back, all I did was look away ('J'ai essayé, mais je n'y suis pas arrivé/En y réfléchissant bien, je me suis dit : laisse tomber')... C'est vrai que sa voix est étrange, il paraît qu'à la sortie de l'album, des gens sont retournés au magasin de disques avec leur exemplaire, persuadés que le disque était voilé, défectueux, comment une voix masculine peut-elle sonner ainsi ? Le morceau, déclaration d'amour de Ferry à une charmante CPL593H (une voiture), offre un fameux passage instrumental permettant à chaque membre de briller d'un petit solo : Simpson nous refait le riff du Day Tripper des Beatles, Mackay, au saxophone, nous joue un petit air bien connu, Manzanera fait gicler ses notes à la Fripp, Thompson fait des ruades de batterie, Ferry et Eno bidouillent leurs claviers (Eno, surtout, pour les bidouillages ; sur scène, il n'apparait pas toujours, restant dans l'ombre, à peaufiner ses effets). Un tel morceau pour ouvrir le bal, c'est inespéré. La suite est parfois encore meilleure, je pense à Ladytron, chanson immense s'ouvrant sur un délire futuristique d'Eno et le hautbois de Mackay (ambiance futuristico-médiévale). Quand la voix de Ferry déboule (You've got me, girl, in a runaround, runaround, you've got me get around town), c'est des frissons partout, des cheveux aux ongles. Un solo de hautbois d'enfer (qui a dit qu'un jour on oserait utiliser les termes 'solo', 'hautbois' et 'd'enfer' dans la même phrase ?), des giclées guitaristiques maniaques, une ambiance chevaleresque, ce morceau est immense. If There Is Something, 6,30 minutes, qui suit, démarre bizarrement, comme un pastiche de chanson des années 50, et je dois dire que le morceau se poursuit nettement mieux qu'il ne démarre, mais arrivé à sa deuxième partie, plus lente et sombre, c'est divin. Divin. La face A se finissait sur le chelou et magistral 2 H.B., chanson en hommage à Humphrey Bogart (le titre signifie : "To H(umphrey) B(ogart)" en abréviation), avec ses claviers vaporeux et bizarres d'Eno et ses allusions aux films de Bogey (la mélodie d'As Time Goes By, fameuse chanson du film Casablanca, est rapidement utilisée, ainsi que certaines tournures de phrases telles Here's looking at you, kid, issue du même film). Une étrange mais remarquable fin de face. Précisons que Virginia Plain, sur le CD et la version américaine, se situe juste avant 2 H.B., donc, et est une chanson démentielle et férocement glam : Baby Jane's in Acapulco, we are flyin' down to Riooooooo...

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Premier plan : Manzanera, Ferry et Eno. Second plan, Mackay, je ne sais pas qui (un bassiste remplaçant Simpson) et Thompson. Roxy Music en 1973, avant qu'Eno ne parte

La face B s'ouvre sur le morceau le plus cintré de l'ensemble : The Bob (Medley), comme son nom l'indique, est en plusieurs parties. Le titre signifie probablement Battle Of Britain. Le morceau est à la fois médiéval par moments (le hautbois d'Andy Mackay) et totalement futuriste, grâce aux effets sonores de Brian Eno. Le chant de Ferry est assez souvent énergique, à la limite de l'hystérie, de la rupture. On note quand même un passage plus reposant et léger, mais ce morceau, dans l'ensemble, est assez cintré tout de même. Pas mon préféré, mais il ouvre la face B avec originalité. Chance Meeting, qui suit, morceau trop court (3 minutes), a ma préférence ici. On a ici du pur Roxy Music comme on en aura par la suite avec des morceaux tels qu'In Every Dream Home A Heartache, A Song For Europe ou Bitter-Sweet : un peu oppressant, tout en étant magnifique. Une ambiance étrange, lourde de sens, un chant maniaco-dépressif de la part d'un Ferry en retenue, des ambiances bizarres (la guitare de Manzanera, toujours ; les bidouillages d'Eno, toujours ; les claviers de Ferry et Eno, toujours). Le morceau se finit en promesses que sa courte durée ne tient pas totalement, hélas. Il reste un des meilleurs de l'album, mais un des moins connus, il me semble. Would You Believe ? est plus pop, et même totalement débridé, une sorte de If There Is Something en plus court, un tout petit peu moins impressionnant, mais c'est du grand art, encore une fois. Sea Breezes, 7 minutes, suit, et du hautbois de Mackay au chant reposant de Ferry (et ces claviers...), c'est aussi beau que regarder les vagues se briser. Le morceau n'est pas toujours aussi reposant, il est long (7 minutes, donc, le plus long de l'album), mais sa longueur n'est pas un mal, c'est une des plus belles réussites de ce premier album. Bitters End (2 minutes), en revanche, final de l'album, est amusant, avec son ambiance un peu prise de congés, mais il m'a toujours déçu, je le trouve un peu fadasse, surtout après Sea Breezes. Une conclusion un peu amère, c'est d'ailleurs la traduction littérale de son titre ! Enfin, le morceau étant ultra court, je l'écoute toujours sans le zapper.

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Photo issue des sessions de For Your Pleasure, le second album (1973)

A l'arrivée, Roxy Music en impose totalement avec ce premier opus éponyme qui a sa place parmi les meilleurs du rock et du glam-rock. 1972 est l'année du glam, d'ailleurs, entre Transformer de Lou Reed, The Slider de T-Rex, All The Young Dudes de Mott The Hoople, The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars de David Bowie et ce disque, sans oublier Elton John qui fait vraiment parler de lui, ainsi qu'Alice Cooper. Roxy Music livrera d'autres grands disques : For Your Pleasure (1973), dernier opus avec Eno, est pour moi encore plus efficace encore ; Stranded (1973 aussi) l'est un chouia moins, mais offre de grands moments ; Country Life (1974) est grandiose ; Siren (1975) est le moins fort, mais, pareil, offre de grands moments. Après, OK, ça se gâte, même si Avalon, en 1982, dernier album du groupe, est un classique de pop racée bien dans son époque. Mais pour les puristes, Roxy Music, c'est les années 70, et ce premier opus éponyme est vraiment un des essentiels les plus absolus de son époque et dans son genre. Indispensable.

FACE A
Re-Make/Re-Model
Ladytron
If There Is Something
2 H.B.
FACE B
The Bob (Medley)
Chance Meeting
Would You Believe ?
Sea Breezes
Bitters End